Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/346

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le vice-roi. Le gouverneur transmettait l’injonction au fonctionnaire placé immédiatement après lui dans la hiérarchie de l’administration provinciale ; elle arrivait par cette dernière entremise au cheik-el-beled. Chacune de ces autorités était responsable de l’exécution des ordres devant son supérieur immédiat. Les gouverneurs généraux qui avaient le plus d’arriéré dans leurs gouvernemens tombaient en défaveur, et étaient souvent remplacés. Donc le cheik-el-beled assemblait les habitans de son village. Accompagné du seraph ou receveur, il faisait connaître à ses administrés que le gouvernement avait besoin d’argent, et il leur demandait de spécifier la somme qu’ils pouvaient donner. Vainement la plupart des contribuables faisaient-ils observer qu’ils avaient acquitté leurs taxes : on leur répondait que le village était encore débiteur de la contribution des terrains en friche délaissés par les pauvres et les fugitifs. D’ailleurs l’arriéré n’existait-il pas, l’arriéré, véritable tonneau des Danaïdes, gouffre sans fond et toujours béant ? Bref, on en venait vite à la menace. Les anciens se consultaient ; on supputait les ressources de chacun, on offrait une somme. Le cheik-el-beled rejetait bien loin cette proposition comme insuffisante, et le débat ne se terminait que lorsque les habitans avaient doublé, triplé leur offre. Pour fournir cette contribution, les habitans aisés s’étaient appauvris à leur tour, et pourtant il s’en fallait de beaucoup qu’ils eussent réussi à satisfaire le fisc et à libérer le village. Trop souvent une partie des sommes ainsi obtenues au moyen de l’intimidation était détournée en route, et n’entrait pas dans les caisses du pacha. Aussi la dette devenait de jour en jour plus considérable. Par suite, les habitans étaient exposés à des demandes continuelles pour lesquelles on ne consultait que les besoins du trésor, et nullement les convenances des populations et les besoins de la culture. Les villages, placés sans cesse sous la menace de nouvelles poursuites, incapables de se libérer, volés par les fonctionnaires de tout ordre, successivement appauvris, en arrivaient à se dépeupler. Puis, un jour que le chef de canton transmettait au cheik-el-beled une nouvelle demande d’argent, il ne se trouvait plus dans la commune que quelques femmes, quelques vieillards et un bien petit nombre de cultivateurs valides, tous incapables de satisfaire aux demandes du trésor. Alors le cheik-el-beled, terrifié de sa responsabilité, pressentant la disgrâce, le châtiment et la confiscation, profitait à son tour de la nuit pour disparaître. Combien de centres de population sont ainsi tombés en ruines après la dispersion de la plupart de leurs habitans ! Non pas que tous fussent réduits à une telle extrémité : il y en avait de plus favorisés ; mais la plaie de l’arriéré, qui faisait périr les uns, n’épargnait pas complètement les autres, et la dette