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nouvelle garantie que les traités acceptés par toutes les puissances ne pourraient être révisés, en ce qui touche les rapports du suzerain et de l’état vassal, que du consentement et sous le contrôle des mêmes puissances.

Le gouvernement anglais, dans sa sollicitude pour l’intégrité de l’empire ottoman, ne trouverait-il pas lui-même dans le canal de Suez un puissant auxiliaire pour aider, s’il le fallait, au transport, à l’approvisionnement et à ravitaillement d’une armée turque dans le pays que ce canal doit traverser ? Mohammed-Saïd, loin de considérer le percement de l’isthme de Suez sous le même aspect que le gouvernement anglais, a déclaré qu’il s’opposerait de toutes ses forces à cette entreprise, s’il entretenait secrètement la pensée d’affranchir l’Égypte de la suzeraineté ottomane. En effet, l’obéissance que les musulmans de l’empire doivent au sultan n’est pas seulement politique, mais encore religieuse. C’est parce que ce souverain est en même temps un chef spirituel que son pouvoir est respecté tout autant qu’il est craint par les musulmans. Or ce caractère en quelque sorte pontifical de l’autorité qu’exerce le sultan tient surtout à ce qu’il est le maître de La Mecque, le lieu de pèlerinage des fidèles. Cette possession donne un prestige sacré à sa couronne. La Mecque est aujourd’hui à la merci de l’Égypte, qui peut l’affamer et y porter des troupes par la Mer-Rouge longtemps avant que la Turquie soit en mesure d’y faire arriver des forces. Le pacha d’Égypte qui méditerait de s’affranchir de la Porte tiendrait donc surtout à garder La Mecque sous sa main, car, en l’occupant, il acquerrait des titres à l’obéissance de tous les croyans. Le canal de Suez, en donnant un facile accès dans la Mer-Rouge aux troupes du sultan, contribuera au contraire à fortifier l’autorité du gouvernement turc, qu’il maintient en possession des lieux-saints du mahométisme.

N’est-il pas singulier que le ministère anglais, qui se montre plus jaloux de l’intégrité ottomane que les Ottomans eux-mêmes quand il s’agit du percement de l’isthme de Suez, ait donné tout récemment l’exemple d’une atteinte à cette intégrité par l’occupation de l’île Perim, à l’entrée de la Mer-Rouge ? Cette île est revendiquée par le sultan ; mais, malgré ses réclamations, le gouvernement de la compagnie anglaise fait fortifier l’île Perim. Est-ce là de l’équité, et l’Europe doit-elle attacher une grande importance aux inquiétudes toutes gratuites qui ont été exprimées dans le parlement anglais ? En réalité, on a peine à comprendre que l’Angleterre voie ses intérêts menacés par l’ouverture d’un canal qui abrégerait de trois mille lieues la route qui conduit des ports anglais aux Indes orientales. La révolte des cipayes n’eût-elle pas pris un développement moins redoutable, si l’on avait pu expédier par la voie abrégée de la Mer-Rouge des troupes européennes dans l’Inde dès l’arrivée en Europe