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des aurochs et des bisons, et ont dû leur disputer les riches pâturages de cette ancienne terre, sur laquelle ils ont laissé tomber d’année en année leurs bois formidables. Dans les herbes des mêmes savanes vivaient le renne, le chevreuil, un cheval sauvage de petite taille, l’âne, le sanglier et la chèvre. Les animaux à mamelles remplaçaient les reptiles de l’âge précédent, comme sur les mers les baleines, les phoques avaient succédé aux ichtyosaures, comme dans les airs les oiseaux et les chauves-souris avaient détrôné les dragons volans. Cette époque de la nature avait néanmoins ses tyrans : un tigre aussi grand que les plus grands tigres du Bengale guettait sa proie dans les jongles britanniques. Un autre animal de la race féline, le machairodus, se faisait remarquer par ses canines aiguisées en pointe de sabre : c’était probablement le plus féroce et le plus destructeur des carnassiers. Des bandes d’hyènes plus grandes que les hyènes du sud de l’Afrique rongeaient les os déjà rongés par de plus nobles animaux de proie, le léopard, le lynx. Un ours terrible, surpassant en taille l’ours féroce des Montagnes-Rocheuses, avait établi son repaire dans les cavernes. Deux castors, dont un gigantesque, bâtissaient à la surface des eaux les premières maisons et les premières villes. Enfin le singe lui-même, homme sauvage de ces sauvages contrées, le singe était né.

Il est intéressant de visiter en Angleterre les cavernes où dorment les débris de cette faune si riche. Près de Torquay, charmante ville du Devonshire, bâtie dans une crique exposée au soleil et abritée des vents par une chaîne de montagnes qui l’entourent de toutes parts, excepté du côté du sud, où elle s’ouvre sur la mer, se creuse dans les masses de calcaire un abîme ou une fissure appelée le trou du Kent, Kent’s hole. Cette caverne, comme la plupart des autres cavernes à ossemens, celle de Kirkdale par exemple, dans le comté d’York, a été sous l’eau, d’où, après un temps plus ou moins long, elle a été soulevée à l’air libre. La bouche de ces cavernes est restée fermée jusqu’au moment où le hasard les a fait découvrir. Dans le trou du Kent, l’abîme principal a six cents pieds de longueur, et il y a plusieurs crevasses d’une étendue moins grande qui se ramifient dans l’épaisseur ténébreuse des roches. Un lit de dur stalagmite, formé très anciennement par l’eau, qui suintait du toit goutte à goutte, et recouvert d’une mince couche de terre, tapisse le sol de la caverne, qui est une argile sablonneuse et rougeâtre. Là on a déterré une masse d’ossemens fossiles appartenant aux espèces éteintes d’ours, de tigres, de lions et d’hyènes. Une telle réunion de débris a donné lieu à diverses conjectures. On croit généralement que ces sombres demeures ont servi de charnier aux animaux de proie, et que ces ossemens de chevaux, de cerfs, de lièvres, sont les restes de