Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/428

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toujours, ou ne produisirent que des effets passagers. Ils ne se rattachaient point les uns aux autres par un lien assez fort ; ils n’exerçaient qu’une action locale ; ils donnaient lieu à des erreurs, à des abus même, dont les violens se prévalaient ; ils exigeaient trop à la fois. Comment éteindre en un instant des inimitiés accumulées, déjà héréditaires, enflammées par mille souvenirs d’outrages réciproques ? Comment rompre brusquement les habitudes d’une vie fougueuse qui, dans la paix, n’aurait plus su que faire d’elle-même ? Comment imposer à la passion brutale l’abandon soudain, non-seulement de prétentions injustes, mais souvent aussi de droits réels ? Il n’est donc pas étonnant qu’il n’en résultât que des émotions fugitives, des repentirs promptement dissipés. Après la famine, une bonne récolte ramenait l’abondance et l’oubli des terreurs passées ; les sermens s’évanouissaient, les vieilles querelles reprenaient leur cours, et on recommençait, dit Rodolphe Glaber, à exercer la rapine comme auparavant, et plus qu’auparavant.

Ce fut en 1041 qu’une nouvelle conception se fit jour, bizarre et impraticable en apparence, et qui cependant saisit les esprits comme un rayon sauveur, et se répandit bientôt dans toute l’Europe, plus ou moins affligée du même fléau. Quatre hommes déjà célèbres et vénérés, l’archevêque d’Arles Raimbaud, l’évêque d’Avignon Benoît, Nitard de Nice, et l’abbé de Cluny, Odilon, frappés de cette idée, crurent qu’elle leur était descendue d’en haut comme une illumination. Ils adressèrent aussitôt une circulaire au clergé d’Italie, tant leur conviction était profonde, tant l’esprit français de propagande les saisissait vite. On sent, à lire cette pièce, l’exaltation encore chaude de l’idée qui vient de leur apparaître, et cependant le dispositif en paraît si faible et si insignifiant, qu’on se trouve déçu. « Recevez, disent-ils aux évêques d’Italie, comme s’ils avaient autorité sur eux, et conservez la paix et cette trêve de Dieu que nous avons reçue du ciel par l’inspiration de la miséricorde divine. » Ils énoncent ensuite les jours qu’ils ont voués à Dieu et à la paix : le cinquième jour de la semaine, en mémoire de l’ascension du Christ, le sixième en mémoire de sa passion, le samedi en mémoire de sa sépulture, le dimanche à cause de sa résurrection. Ils bénissent et absolvent ceux qui recevront cette trêve, ils maudissent et condamnent ceux qui la violeront. Tout meurtre commis pendant ces jours sera expié par l’exil et par un pèlerinage à Jérusalem. Ils absolvent d’avance ceux qui châtieront les transgresseurs de cette charte (hanc chartam et Dei treuvam) ; ils défendent, pour ôter tout prétexte aux violences, de reprendre pendant ces jours les objets dérobés, lors même que l’occasion s’en présenterait. Quelle étrange et audacieuse initiative ! Comme cette action personnelle, cette législation