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mains, et, bien accomplie, elle fortifiera la royauté comme elle a fortifié l’église.

La royauté, et cela devait être, s’y prit autrement que l’église. Régler le désordre, c’est déjà l’amoindrir. Elle parut donc d’abord accepter le droit de guerre que s’arrogeaient les seigneurs, mais à la condition d’y introduire certaines règles, ou d’étendre dans leur meilleur sens celles qui s’y étaient introduites d’elles-mêmes. L’anarchie absolue, si elle est possible, ne dure pas. Par cela seul que les guerres privées se prolongeaient, elles reprenaient, comme l’ancien Fehderecht de la Germanie du temps de Tacite, une certaine discipline légale, une sorte de droit spécial, dont l’exercice s’assujettissait peu à peu à des conditions, à des limites, à des manières convenues d’en finir. En pareil cas, l’imprévu des accidens, les nécessités réciproques donnent lieu à des conventions tacites qui deviennent des habitudes, et qui se transformaient en ce qu’on appelait alors coutumes, c’est-à-dire en lois. D’ailleurs, puisque les seigneurs entre eux considéraient la guerre comme un droit légitime de leur propriété ou de la souveraineté à laquelle ils prétendaient, cela même les portait à établir, comme de vrais souverains, une sorte de droit des gens pour en régler l’exercice. « Guerre se fait par coutume, » dit Beaumanoir. Ainsi de son temps cette législation des guerres privées était déjà d’une ancienneté immémoriale. « Autre que gentilhomme ne peut guerroyer ; » ces guerres étaient donc même un privilège. Les cas en étaient prévus et énumérés avec soin : « coutume souffre guerre en Beauvoisis pour les vilonies, faits de mort, mehaing ou bature. » Les devoirs des parens, des vassaux enveloppés dans les querelles, et beaucoup d’autres circonstances résumées dans la dissertation bien connue de Ducange, formaient déjà des coutumes assez nombreuses et assez accréditées pour que Beaumanoir, à la fin du XIIIe siècle, essayât de les réduire en jurisprudence et presque en système.

C’est par là que la royauté aura prise. Il n’y a point de date à ses premières tentatives, aucun fait remarquable qui les signale. Ce sont de bons offices particuliers, des empiètemens de circonstance qui reculent ensuite au premier mot. Cependant, dès les premiers Capétiens, à cause de ce nom de roi qu’ils avaient heureusement conservé, et qui, dans la pensée du clergé surtout, rappelait à la fois et la monarchie juive et l’empire romain, on voit souvent les faibles, assaillis par les forts, invoquer la justice du roi et en appeler à son conseil. On découvre vers ce temps aussi un tribunal spécial, dont l’origine est inconnue, et qui est chargé, sous l’autorité du roi, de juger les infractions à la paix. Ives de Chartres appelle ces juges spéciaux judices pacis ; des actes de conciles les désignent sous le