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qui a fait cesser la guerre ; c’est elle qui a mis fin aux brouilleries de Bolgrad, et c’est elle encore qui vient de dissiper, dans un moment d’entrevue, tous les nuages qui s’étaient élevés à Constantinople. Vous devez en conclure évidemment que l’empereur des Français n’a point le dessein de se jeter aveuglément dans la guerre, même pour arriver à ce qu’il peut désirer, et s’il ne veut point la guerre, que deviennent toutes vos combinaisons d’Osborne et de Stuttgart ?

D’ailleurs, soit dit entre nous, pour la réalisation de tels desseins, quelle serait donc pour la France l’efficacité actuelle de ces alliances dont on parle ? L’Angleterre n’a qu’une pensée en ce moment, elle n’a de regards que pour l’Inde ; elle n’a pas trop de toutes ses forces pour faire face à cette formidable insurrection qui l’a prise à l’improviste, et ce n’est vraiment pas l’heure pour elle de former des alliances qui ne lui offriraient d’autre prix que la création d’un nouveau royaume en Allemagne. Tout le concours de l’Angleterre se réduirait donc à laisser faire. La Russie, de son côté, est sortie de la dernière guerre plus meurtrie encore qu’on ne l’a dit. Ce qu’elle a dépensé en hommes et en argent dépasse tout calcul : au moment où la lutte a cessé, elle était dans un état tel qu’elle aurait eu de la peine à soutenir une nouvelle campagne, et c’est ce qui l’a déterminée à traiter. On ne connaissait pas alors entièrement la vérité, on ne l’a connue que depuis. Aujourd’hui encore l’armée russe est singulièrement réduite, et le gouvernement de Pétersbourg ne le cache pas si bien qu’on n’ait pu en voir quelque chose au dernier camp de manœuvres de Tsarkoe-Selo, d’où il faut conclure que l’empereur Alexandre II ne pourrait lui-même en ce moment offrir un secours très décisif, et une entente trop intime avec lui ne vaut pas une rupture ou un refroidissement de l’alliance avec l’Angleterre. Tenez donc pour certain que la garde impériale n’est pas près de quitter le camp de Châlons, où elle est réunie pour marcher sur le Rhin. L’empereur des Français ne s’occupe pas de toutes ces choses ; sa pensée est tournée vers la paix et vers l’intérieur, où il ne peut douter qu’il ne reste beaucoup à faire. Il n’ignore pas que la spéculation fiévreuse n’est pas l’industrie, outre qu’elle aboutit le plus souvent à des crises qui paralysent tout, comme on le voit aujourd’hui ; il sait que des travaux trop accumulés créent parfois une activité factice aux dépens de la véritable activité, que des finances sûres et solides sont la force d’un peuple dans l’occasion, que dans un pays comme la France enfin ni l’industrie, ni la guerre elle-même ne suffisent, s’il n’y a aussi cette sève de l’esprit qui a besoin d’une atmosphère saine et généreuse. Ne trouvez-vous pas la carrière assez grande ? Et voilà pourquoi tous vos rêves d’Osborne et de Stuttgart ne sont en définitive que des rêves.

Ainsi vont toutes les versions, se succédant, se croisant et disparaissant tour à tour. C’est la politique de l’hypothèse et de la fantaisie prenant l’Europe pour théâtre. Arrivez aux faits actuels : de l’alliance de la Russie et de la France, il reste l’entrevue de Stuttgart, entrevue qui a certes son prix, comme signe des bons rapports des souverains, quoiqu’elle ne puisse avoir les conséquences qu’on lui attribue, et qui a été précédée elle-même du traité de commerce récemment ratifié. Un traité de commerce et de navigation, ce n’est pas beaucoup, quand on pense qu’il est si facile de remuer le monde dans une conversation. Combien de traités de ce genre cependant n’ont-ils pas été