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même de l’Italie. Le Dauphiné ne peut craindre aucune rivalité. Comme pittoresque, il est, je crois, supérieur à la Lombardie, car il n’y a point de plaines en Dauphiné, mais de nombreuses vallées d’une fertilité admirable, entourées le plus souvent d’âpres montagnes, dont les sommets affectent les formes les plus escarpées. La vallée de Tullins et plus encore celle de Graisivaudan peuvent le disputer aux plus belles campagnes du monde, et les imaginations exigeantes en préféreront la saisissante variété à la gracieuse uniformité des paysages qu’arrosent le Pô, l’Adige et le Mincio. La nature, si on peut le dire, a comme l’art sa beauté classique et sa beauté romantique. Elle produit par l’une et par l’autre des effets très différens, et la première vue de l’Italie est, comme il convient, toute virgilienne.

On sort de France par la grotte des Echelles, c’est-à-dire par un tunnel de 300 mètres de long, qui perce une muraille calcaire sur la frontière de Savoie. Je me souviens du temps où la description de cette galerie carrossable creusée dans le roc passait pour une des curiosités d’un voyage d’Italie. Aujourd’hui on y fait à peine attention ; les chemins de fer nous ont familiarisés avec ces routes souterraines, et le bourgeois de Paris qui va contempler la mer à Dieppe en voit bien d’autres. La Savoie, qui nous sépare du Piémont, n’est qu’une continuation du Dauphiné, et les traités seuls la rendent étrangère à la France; mais elle serait française que le mouvement d’amélioration qui s’y est manifesté ne serait ni plus rapide ni plus visible. Il y a plus de trente ans, j’ai connu cet excellent pays engourdi comme ses marmottes sous l’administration des rois de la restauration. On s’étonnait alors, en arrivant à Chambéry ainsi qu’à Nice, de ne pouvoir seulement trouver les journaux français. Pas d’autres livres que des paroissiens et la bibliothèque bleue. Aujourd’hui la liberté de la presse s’étale dans les rues comme la civilisation sur les chemins de fer. On traverse la Maurienne à la vapeur, et l’on parle de perforer le Mont-Cenis; mais, en attendant que la machine à air comprimé ait fait son trou dans les Alpes, il faut se contenter de huit paires de mules, et gravir péniblement jusque dans la région des neiges et des lacs glacés. Ce fameux passage s’opère ordinairement la nuit; les voitures publiques se soucient peu du pittoresque, et les conducteurs disent que les orages redoutés dans les montagnes, ces tourmentes de neige qui forcent quelquefois le voyageur à s’arrêter, surviennent plus fréquemment pendant le jour. Il a donc fallu nous résigner à faire dans les ténèbres ces cinq heures de marche, qui offrent cependant quelque intérêt de curiosité. La route, dans sa partie la plus déserte, est, comme on sait, jalonnée, en cas d’accident, de maisons de refuge, où l’on