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prit. Les idées qu’on appelle avancées ne leur vont pas; ces belles chimères logiques, qui se dévident comme le fil d’un raisonnement, et qui ne peuvent exister que dans le vidé, n’ont rien pour les séduire. Ils jouissent d’une liberté de la presse à peu près absolue, comme en Angleterre. Fait un journal qui veut. L’Italia del Popolo, la feuille de M. Mazzini, se débite à vil prix dans les rues; personne ne s’en occupe. On lit sur les murs les noms de quelques députés d’opinions extrêmes escortés d’épithètes outrageantes que je crois fort injustes, mais dont la grossièreté même est un signe du préjugé populaire qui les repousse. On se sent en Piémont chez un peuple libre, mais chez un peuple sage.

Il a déjà fait ses preuves. 1848 a tourné à son honneur. On a remarqué qu’à tout prendre l’Italie était le seul pays à qui cette fatale année eût fait du bien. Elle le doit surtout au Piémont. Il a donné un grand exemple, mal imité, d’abord imparfaitement compris, mais qui devient chaque jour plus intelligible. On ne peut nier que depuis l’heure où il est entré dans la voie qu’il parcourt d’un pas sûr, les yeux de toute l’Europe ne se soient tournés vers la péninsule. Elle est pour tous un spectacle, ou un souci, ou un espoir. On lui croit, on lui sait un avenir. On s’attend que de là viendront probablement les premières grandes affaires du monde. Son nom a cessé de n’être, comme le disait dédaigneusement le prince de Metternich, qu’une expression géographique. Il a été prononcé officiellement dans un congrès européen. L’existence de l’Italie a été ainsi comme affirmée dans le droit public, et tout cela est dû au Piémont.

Son rôle comme puissance italienne, en le destinant à de grands efforts, est précisément ce qui l’oblige en même temps à la sagesse et à la liberté. Il faut qu’il soit libéral, car il n’y a que la liberté qui ait une voix. Tout despotisme est muet, et s’il n’est conquérant, son influence expire aux frontières de son empire. Il faut que le Piémont étale sans cesse aux yeux des populations italiennes l’attrayant spectacle de la vie constitutionnelle. Il est bon que, de toutes les parties de l’Italie, chacun puisse se dire :

………… Tu vedrai Anteo
Presso di qui, che parla ed è disciolto.


Il le faut, pour qu’un jour l’imprécation terrible de Dante : Ahi ! serva Italia, etc., perde toute vérité, et qu’on cesse d’appeler avec lui l’Italie : Nave senza nocchiero[1].

Mais ce qui nous rassure, c’est une heureuse circonstance intérieure, sans laquelle la révolution la plus juste court toujours de

  1. Infern., XXXI. — Purg., VI.