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Il est vrai, bien des hommes ont varié, et surtout dans cette élite intelligente, qui n’est pas toujours la plus raisonnable, car elle est nécessairement la plus mobile, de singuliers reviremens d’opinion se sont manifestés ; mais tout est-il changé au fond pour cela ? Le mouvement général du siècle est-il dans un autre sens ? l’esprit national a-t-il subi quelque métamorphose ? On le dit, je n’en crois rien. De beaux esprits, un peu malades, s’efforcent de le prouver ; de petits esprits, un peu vicieux, s’acharnent à le soutenir. On les tolère, et parce qu’on les tolère, il semble qu’on les écoute ; mais qu’une circonstance imprévue vienne atteindre le cœur de la nation, qu’une cause puissante vienne toucher cette corde qu’on croit brisée parce qu’elle a cessé de vibrer, on verra si elle est devenue muette, ou si elle rend un nouveau son. Que celui qui a prêté une poétique voix aux idées et aux sentimens, aux passions et aux préjugés qu’on dit éteints, que l’Alcée de la France libérale arrive au terme d’une noble vie, et l’on verra comme cette France est changée. Béranger n’a senti, n’a voulu, n’a chanté que ce qu’elle pensait au sortir de la révolution ; il n’a rien dit de plus, et il s’est obstinément préservé de ces variations prétentieuses qui nous détachent successivement de toutes nos affections en même temps que de toutes nos croyances. Il est resté, en un mot, le type pur et vif de tout ce qu’on veut que la France ne soit plus. Et cette France si froide, dit-on, et si changeante s’est émue en le perdant jusqu’au fond de ses entrailles. Qui n’a été frappé de la trouver à ce point fidèle, et quels progrès pensent avoir faits sur son âme toutes les opinions, tous les intérêts, toutes les prétentions dont il s’est montré l’implacable adversaire ? Essayez de nous dire encore que la France, moitié sagesse, moitié lassitude, accepterait aujourd’hui toutes choses du même cœur, et, par exemple, qu’elle est réconciliée avec l’ancien régime !

Mais ont-ils raison davantage, ceux qui, pour avoir conçu dans une exaltation rêveuse et passionnée des plans de régénération sociale et jeté aux masses la promesse d’une transformation de l’humanité, ne voient que misère d’esprit et de cœur dans les efforts de leurs devanciers pour asseoir sur la base d’un gouvernement durable les intérêts et les principes de la révolution ? L’école qui s’intitule démocratique a-t-elle tant lieu de s’enorgueillir, comme elle fait, de n’être pas l’école libérale ? Ont-ils tant réussi, les nouveaux réformateurs, ont-ils laissé de leur sagesse une opinion si nette et si forte, qu’ils puissent du haut de leur disgrâce insulter à nos revers, et prendre en pitié ceux qu’ils ont fait tomber peut-être, mais qu’ils n’ont pas remplacés ? Assurément les années ne s’accumulent point sans amener de nouveaux besoins. Le sol même sur lequel