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de leurs nouveaux maîtres, quand elles auront été pillées, écrasées, saignées par cette nouvelle invasion comme elles l’ont été par toutes les invasions antérieures, quand elles auront vu la terre rendue à l’état sauvage, la propriété au pillage, l’homme à l’esclavage, la femme à la honte, alors elles accueilleront avec bonheur le retour à une domination régulière.

Cette domination devra elle-même changer de nature, et nous ne croyons pas qu’il y ait lieu de s’en applaudir. Nous le disons avec tristesse : les événemens auxquels nous assistons ne peuvent avoir que des résultats malheureux pour la liberté du monde ; ils doivent aider au triomphe de l’élément militaire et de l’esprit de centralisation.

Dans l’espace de deux ou trois ans, les Anglais ont reçu deux leçons sévères, la première en Crimée, la seconde dans l’Inde. Ils ont appris à leurs dépens que l’âge d’or n’était pas venu, que nous vivions encore dans un siècle de fer où les nations, même en pleine paix, ne peuvent marcher qu’armées de pied en cap, et ne peuvent dormir qu’avec une épée à leur chevet. Désormais, instruits par de cruelles expériences, ils se résigneront à entretenir chez eux une armée permanente, et ils se préparent déjà à cette extrémité, contre laquelle leur esprit d’indépendance s’était toujours révolté.

Quant à l’Inde, le gouvernement presque entièrement civil qu’ils y avaient établi devra nécessairement faire place à une occupation militaire et à une sorte de grande gendarmerie. Ils ne peuvent plus songer à donner le gouvernement d’elle-même à une race qui n’y est encore préparée ni par la religion ni par l’éducation. La fusion n’est pas possible entre le chrétien et le musulman, et de Maistre avait raison : « L’un des deux doit servir ou périr. » Au-dessous de ces castes religieuses et sociales qui exhalent en ce moment leur dernier soupir dans une dernière et sanglante convulsion, il y a des millions de créatures qui traversent la vie dans les ténèbres, dans l’opprobre, dans l’oppression, dans la brutalité, et qui attendent un rayon de lumière. L’Angleterre a charge d’âmes ; elle devra s’en souvenir quand elle aura reconquis l’Inde. C’est alors qu’elle reconnaîtra qu’au lieu d’accuser l’intervention de ses missionnaires, elle aurait mieux fait de l’appuyer et de l’encourager. Il y a dans cet acte de faiblesse une immense ingratitude, car, nous le demandons, que serait l’Angleterre sans la Bible ?


JOHN LEMOINNE.