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sentimens, de l’insulte passant presque sans transition aux coquettes cajoleries, O’Connell en fût venu à ses fins. Le pluck ne lui manquait pas, à celui-là. Il en aurait revendu à sir James Graham, à Joseph Hume, et à sir Robert Peel lui-même, cet homme de fer.

D’ailleurs ne vous figurez pas que la vie parlementaire moderne admette ces excès par lesquels se sont rendus fameux les géans de l’autre siècle. On ne peut plus, comme Sheridan, se dresser, pour demander la parole, sur des jambes avinées qui refusent service, ou, comme Fox, se lancer tout fiévreux, après trente heures consécutives passées à une table de piquet, dans un exorde aventuré, ou, comme Pitt, abrité par la perruque du speaker, préparer, en dégorgeant dans une cuvette le porto d’un souper trop copieux, les argumens qui terrasseront Fox. Aujourd’hui ces exploits ne sont plus de mise. Il faut être robuste, il faut être laborieux, il faut être respectueux, il faut être sobre.

Telles sont les exigences du parlement et de M. Whitty. Maintenant, si vous lui remontrez qu’à ce compte bien peu d’hommes sont en état de siéger aux communes, il vous fera remarquer que, si l’on ne peut atteindre à tout ce qu’il regarde comme les conditions essentielles du succès, on peut y viser, et cela suffit. Les mêmes moyens, dans une mesure différente, vous conduiront aux divers degrés de la prééminence parlementaire. Vous ne serez pas premier (chef du ministère), eh bien ! vous deviendrez whipper in[1], ou tout simplement un back-bencher (une tapisserie) utile, et compté. Faites-vous fi de cette humble fonction? Eh! mon Dieu, que de fierté! Vous croyez-vous donc si supérieur à M. Glyn, à ce grand personnage qui règle les destinées et administre les millions du North-Western Railway? M. Glyn est un back-bencher fort modeste et fort silencieux. Et M. William Brown, le grand négociant de Liverpool, avec ses centaines de vaisseaux, ses milliers d’agens, ses millions de marchandises, qu’est-il donc? En back-bencher. Et cet autre back-bencher qui jamais ne s’est avisé d’ouvrir la bouche, bien que de tous les membres des communes il soit, à coup sûr, le mieux informé; savez-vous qui c’est? Le propriétaire et souverain seigneur de cet énorme domaine qu’on appelle le Times, le maître absolu de ce journal tout-puissant qui représente en Angleterre ce qu’on a si bien nommé « le quatrième pouvoir. » C’est M. Walter, ni plus ni moins. Apprenez donc à respecter les back-benchers.

  1. Aucun moyen de rendre mot à mot cette expression de l’argot parlementaire. Elle implique l’idée d’une meute dispersée que le piqueur fait rentrer à coups de fouet dans l’enceinte du chenil. Elle s’applique aux honorables membres qui veulent bien se charger de la police intérieure des partis, d’avertir les distraits, de stimuler les paresseux, de gronder les négligens, de rallier les dispersés, etc. Vrai métier de chien... de berger.