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de son propre talent. Le chœur parlementaire lui fit défaut, un peu choqué du rôle de comparse qu’on lui assignait ainsi. D’ailleurs sir Edward Lytton ne travaillait pas volontiers. Il était de ces grands acteurs qui détestent l’étude quotidienne, et se font traîner aux répétitions. Il ne se gênait pas pour parler une langue autre que celle de ses collègues. Il ne s’astreignait pas à penser ou à feindre de penser comme eux. Il échoua donc ; mais n’eût-il pas été le romancier à la mode qu’il aurait, par ces motifs, échoué de même.

Nous résumons, — que ceci soit bien entendu, — les opinions et les données du spirituel pamphlétaire ; aussi pouvons-nous prévoir l’objection. Un radical ! nous va-t-on dire… Et là-dessus bien des gens croiront la cause entendue. Qu’ils le sachent cependant, nous n’avons pas affaire à un radical fort enthousiaste. On ne l’est guère avec un instinct de médisance si développé, si franchement mis à nu. Écoutez ce radical, guerroyeur avant tout, tirer sur les radicaux :


« Il y a un certain nombre d’hommes ainsi appelés, nous dit-il. Le parti radical n’existe pas comme tel dans le parlement. Aussi n’ont-ils servi ni leur cause ni eux-mêmes. Tels vous les voyez de nos jours, tels ils sont depuis 1835, alors que l’aristocratie, ébranlée un moment par le bill de réforme, s’aperçut tout à coup qu’elle ne courait aucun danger. Nous savons ce qu’est, ce que peut, ce qu’a fait ce parti radical, qui n’en est pas un. Nous savons qu’il a émis en paroles les idées qui fermentent au sein des masses. Nous savons aussi, et à n’en pas douter, que son influence législative a été à peu près nulle. Et pourquoi ? Ce prétendu parti radical, ce groupe d’hommes capables de voter autre chose que ce que votent les whigs ou les tories, — a toujours pu réunir une centaine de voix, c’est-à-dire, en comptant les membres libéraux d’Irlande, un quart environ de celles qui font la besogne parlementaire à la chambre des communes. A-t-il une influence proportionnée à ce qu’on pourrait attendre de sa force votante ? Il s’en faut de tout. Ceci tient à ce que les grandes cités du royaume choisissent en général des hommes supérieurs par l’intelligence ou des hommes arrêtés dans leurs principes dogmatiques, obstinés, fantasques. Chacun guerroie pour son compte et à sa manière. Tous sont capitaines, pas un soldat. Manœuvrez dans des conditions pareilles. Les tories et les whigs, — aristocrates ou nominataires d’aristocrates, — généralement médiocres, ayant conscience de leur faiblesse individuelle, viennent se grouper au contraire derrière deux ou trois leaders, désignés d’avance à leur choix, ou par les garanties de leur caractère, ou par une capacité tout exceptionnelle dans ces rangs-là. Le parti organisé présente une masse compacte, et maintenant figurez-vous, devant ces bataillons carrés, un escadron de Brights, un détachement de Cobdens, escarmouchant isolément et cherchant à entamer les rangs serrés de l’oligarchie… »


Le préjugé oligarchique, le respect inné de l’Anglais pour ses lords, la reconnaissance naïve qu’il accorde à leurs moindres condescendances, la crédulité avec laquelle John Bull se fait le com-