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autel. Derrière le sanctuaire, des dégagemens conduisent aux sacristies, à divers oratoires, et mettent l’église en communication avec le cloître et le jardin du couvent. Là, partout la dévotion monastique a placé des images sacrées qui servent d’occasions de prières. La diversité des dévotions est la seule variété de la vie religieuse. Une des sacristies renferme une collection de bustes en cire tous tonsurés et barbus, et qui représentent, avec un air de réalité et de ressemblance, tous les saints de l’ordre des capucins depuis saint François d’Assise. Une autre, mieux partagée, contient jusqu’à trois vierges de Bellini. C’est toujours la même tête, belle, agréable même dans sa gravité, mais ici un peu froide. Une d’elles a de la sécheresse, même quelque chose d’anguleux qui la rapprocherait davantage des vierges d’Hemling. Aussi dit-on qu’elle est des commencemens de Bellini, et elle pourrait être regardée comme le patron primitif de ses madones; mais nous les retrouverons à l’Académie des Beaux-Arts, où il est temps enfin d’aller.

Ce qu’on appelle en peinture l’école vénitienne n’a point de supérieur, ni peut-être d’égal dans certaines parties de l’art, et quand on n’a pas vu Rome ni Florence, on est en droit de la préférer à tout, si cependant on n’est point allé à Parme, car la séduction du Corrège pourrait encore l’emporter sur cette union de la splendeur et de la force qui signale la peinture des Vénitiens. On pourrait dire qu’elle se ressentit toujours d’avoir pris naissance sur le fond d’or des mosaïques. Son style fut lent à se former, et il ne commence à se faire reconnaître que dans les ouvrages de Jean Bellin. On peut ranger autour de lui Cima, Carpaccio, Palma le Vieux; mais son plus habile élève fut Giorgione, qui, s’il eût vécu, pouvait être le rival de Titien. Véronèse et Tintoret viennent ensuite; puis Palma le jeune, Bonifacio, le Bassan, le Bordone, le Moretto, et pour peu qu’on se rappelle un ouvrage de chacun de ces peintres, on ne peut méconnaître entre eux, avec de notables différences, de certaines analogies. C’est aux critiques et aux historiens de la peinture qu’il appartiendrait d’analyser et ces différences et ces analogies. Un voyageur attentif croit les sentir en gros, mais il doit renoncer à en rendre compte. Ce n’est pas d’ailleurs en lorgnant çà et là, dans quelque compartiment d’église, un tableau de tel ou tel maître, sur la recommandation d’un sacristain, que vous pourrez vous livrer à ces comparaisons délicates qui finissent par tant ajouter au plaisir de voir et d’admirer. Jusqu’ici, j’ai pris soin de noter les œuvres d’art qui m’ont le plus frappé, mais seulement les plus importantes et en très petit nombre. J’en ai peu rencontré qui ne m’aient laissé le regret ou de la mal voir ou de la trouver à son désavantage. La plupart en effet ornent des églises, et les produits exquis de l’art ne sont pas là aussi bien à leur place qu’on pourrait le croire. Sans compter que rarement