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pétuait dans les régions officielles le triomphe de l’erreur, et il a fallu l’impétueux courant de la révolution française pour la renverser de son piédestal.

Bien avant Aristote, dès le début même de la civilisation, le rôle que jouent les métaux précieux dans les échanges était exactement connu. Le patriarche Abraham savait, aussi bien que les docteurs en économie politique de ce temps-ci, que l’argent est une marchandise choisie d’un commun accord parmi toutes les autres, mais de préférence à celles-ci à cause de certaines qualités spéciales qui lui sont propres, pour intervenir dans les transactions, comme un intermédiaire qui facilite les échanges, et que, pour obtenir en retour telle ou telle chose, il fallait en donner un poids proportionné à la valeur de cette chose. Quand il achetait un champ pour en faire un lieu de sépulture, il le payait en pesant un poids d’argent que mentionne la Bible. C’est encore ainsi que procèdent les Chinois : peu importe chez eux que l’argent soit ou non sous la forme de disques, que nous avons adoptée dans l’Occident. Pour eux, il n’y a de sérieux que le poids et le titre, c’est-à-dire le degré de finesse. Au contraire, dans la doctrine officielle des gouvernemens européens, et particulièrement du nôtre, à partir des successeurs de Charlemagne ou de Hugues Capet, la forme emportait totalement le fond. L’usage s’était enraciné depuis bien des siècles, parmi les peuples qui confinaient à la Méditerranée dans tous les sens, de mettre l’or et l’argent sous la forme de disques semblables par le poids et par le titre, pour se délivrer, comme dit Aristote dans la définition citée plus haut, des embarras de continuels mesurages. La face du prince ou d’une divinité imprimée sur le disque était la garantie du poids et du titre, ou, pour parler comme le philosophe de Stagyre, le signe de la valeur. Dans la barbarie du moyen âge, cette pratique commode et bonne en soi fut étrangement travestie : on imagina que c’était la figure du souverain qui conférait aux pièces de monnaie leur valeur même. Ce sophisme impudent fut érigé en théorie par les mains de sycophantes du genre de ceux que les rois sont toujours assurés de rencontrer pour justifier après coup leurs mauvaises actions, sinon pour les provoquer, et les princes dissipateurs ou besoigneux ne se