Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/877

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sans doute il n’est aucun système qui puisse former de grands artistes : leur apparition est toujours un accident; mais il est d’une haute importance qu’un système faux ne soit pas établi a priori pour détourner de la bonne voie ceux qui sont appelés par leur vocation à la parcourir avec gloire.

L’étude sérieuse du dessin a d’ailleurs des conséquences considérables et d’une importance que j’appellerais volontiers politique. En se généralisant, elle apporte des ressources nouvelles à l’industrie et contribue puissamment à son essor. La connaissance du dessin, si elle ne devait mener qu’à la pratique des beaux-arts, ne serait véritablement utile qu’à un bien petit nombre d’hommes, tout au plus à quelques privilégiés de la nature, doués d’un talent hors ligne. En revanche, elle trouve un emploi certain dans l’exercice d’une foule de professions industrielles. C’est à l’heureuse facilité avec laquelle on peut se livrer en France à l’étude du dessin que notre industrie doit sa faveur sur les marchés de l’Europe. Nos ouvriers ne sont ni plus actifs, ni plus adroits que les Allemands ou les Anglais; mais pour l’exécution de tout objet où l’art et le goût ont une certaine importance, ils obtiennent une supériorité marquée. Il ne faut point s’en étonner. On vit en France dans une atmosphère d’art; il n’y a guère de ville qui n’ait son école de dessin, son musée, son église ornée de tableaux; les lithographies, les statuettes, courent les rues. A moins de fermer les yeux en marchant, il est difficile de ne pas retenir quelque chose de ce qu’on voit. Sans doute un pareil enseignement est en réalité fort insuffisant, mais il prépare à une étude plus sérieuse, il en donne le goût. Il y a en France tant de dessinateurs dans toutes les professions, que le général Carbuccia trouvait dans ses soldats une foule d’artistes pour copier les monumens antiques qu’il découvrait en Algérie dans ses expéditions.

Il n’en est point encore de même en Angleterre, mais je ne doute pas que d’ici à quelques années il ne s’opère une révolution complète, grâce aux mesures habiles prises pour répandre l’instruction dans toutes les classes, et surtout parmi les ouvriers des grandes villes manufacturières. L’administration s’occupe maintenant avec la plus grande sollicitude de diriger ce mouvement, et une aristocratie riche et intelligente la seconde par des souscriptions et des encouragemens de tout genre.

Il est beau de donner de l’argent pour faire fleurir les arts, mais il est encore plus beau et plus difficile, pour en répandre le goût, de se priver pendant six mois, en faveur du public, d’un tableau précieux, ou d’un meuble rare, qu’on est accoutumé à voir dans sa chambre. C’est cependant ce qu’ont fait un grand nombre d’amateurs cette année en envoyant leurs collections à Manchester. Les