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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/884

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liade, les chapiteaux historiés d’une église romane et la façade d’une église gothique, ne devienne un meilleur ornemaniste que celui qui a passé son temps à copier et recopier toutes les moulures de l’architecture classique. Le premier a sur le second l’avantage d’un homme qui parle plusieurs langues. Peut-être n’est-il pas en état d’écrire un ouvrage correct, mais il sera moins embarrassé dans la vie et se tirera d’affaire en voyage.

Je n’ai pas le don de prédire, mais j’ai la ferme conviction que tant d’efforts, de soins et de dépenses doivent porter leurs fruits et opérer une transformation dans l’industrie anglaise. Grâce à leurs immenses capitaux, à leur caractère à la fois prudent et aventureux, à la perfection de leurs machines et à leurs nombreux débouchés, on dit que les Anglais fabriquent à meilleur marché que nous. Que deviendront nos produits dès que pour le goût nous n’aurons plus une supériorité incontestable? Cette perspective doit, ce me semble, attirer l’attention sérieuse du gouvernement et l’engager à redoubler d’efforts pour conserver à la France le rang qui lui appartient dans les arts aussi bien que dans la politique. Notre nation d’ailleurs est si heureusement organisée, que ce qui coûterait ailleurs beaucoup de peine et de temps s’improvise en quelque sorte parmi nous. Quelles sont les mesures qui peuvent maintenir la France dans la position qu’elle occupe encore aujourd’hui? Il est facile de les indiquer : rendre l’enseignement plus varié et peut-être moins exclusif, multiplier les écoles de dessin, compléter nos collections publiques, conserver avec soin les trésors que nous possédons, renvoyer à la province un peu de cette activité qui se concentre à Paris. Tout cela sans doute ne se peut faire sans dépense; mais l’argent que nous demandons ne doit-il pas être placé à gros intérêt?


PROSPER MERIMEE.