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ceau d’Euryanthe entaché de ce défaut, témoin le premier mouvement de l’air d’AdoIar qui succède, tandis que l’allegro de ce bel air, qui ramène un des motifs de l’ouverture, est plein d’expansion et d’amour. Il n’est pas trop mal chanté au Théâtre-Lyrique par M. Michot, dont la voix a tout le mordant que ne possède plus celle de M. Gueymard de l’Opéra. Le duo entre Euryanthe et Adolar est aussi frémissant, aussi passionné que l’air qui le précède. Il fallait entendre Haitzinger et Mme Schrceder-Devrient dans ce duo profondément dramatique et si vocal en même temps! Le finale du second acte est bruyant, confus et péniblement écrit. Quelques éclairs mélodiques qui s’échappent de la poitrine oppressée d’Adolar sillonnent ce tourbillon de voix et d’instrumens, qui n’arrivent pourtant pas à produire l’effet de terreur que comporte la situation. Weber n’était pas à l’aise dans ces sortes de mêlées, où Meyerbeer est si puissant!

Le troisième acte est encore rempli par un duo de ténor et soprano, entre Adolar et Euryanthe, qui pourrait être aussi mieux écrit pour les voix, qui ont à franchir des intervalles comme ceux qu’on rencontre dans la musique vocale de Sébastien Bach. Mozart, maître divin, suprême conciliateur del canto che nell’ anima risuona et de l’instrumentation, où es-tu? Ton véritable successeur, l’auteur incomparable de Guillaume Tell, bâille aux corneilles dans le bois de Passy! La scène et les récitatifs dramatiques d’Euryanthe qui succèdent au duo renferment des beautés qui ne valent pas le fameux chœur des chasseurs, connu du monde entier, et qu’on chante fort bien au Théâtre-Lyrique. Weber, qui est le créateur de ce genre d’effets d’ensemble, n’y a point été égalé. Citons encore le grand air d’Euryanthe avec accompagnement du chœur, l’hymne au printemps, dont la musique exhale les parfums et la fraîcheur, enfin la marche nuptiale.

Si Euryanthe n’a pas l’unité profonde du Freyschütz, ni l’éclat et l’élégance facile qui distinguent Oberon, elle participe un peu des deux chefs-d’œuvre et en contient les beautés diverses. L’ouverture, la scène du défi et le finale du premier acte, d’une morbidesse toute méridionale; l’air sombre et démoniaque de Lysiart au second acte, le grand air d’Adolar, le duo si passionné d’Euryanthe et d’Adolar; au troisième acte, le chœur des chasseurs, l’air d’Euryanthe avec chœur, la chanson du printemps et la marche nuptiale sont des morceaux de premier ordre qui suffiraient à établir la réputation d’un musicien, disons mieux, d’un poète. Je ne parle pas d’une foule de détails pittoresques de l’instrumentation qui ravissent les connaisseurs, des récitatifs, qui sont parfois pleins de vigueur, et de l’une des grandes qualités de Weber, le choix des rhythmes et la soudaineté des modulations, qui éclatent tout à coup au milieu d’un cantabile, comme des feux de Bengale dans une nuit profonde. Euryanthe est un opéra chevaleresque, un poème héroïque où la bravoure, l’honneur des dames, les voluptés élégantes du peuple qui habite les bords heureux de la Loire, sont célébrés par un musicien du Nord, par un Minnesinger et un compatriote de Wolfram d’Eschenbach, qui aspire aux contrées bienheureuses d’où viennent la lumière et le renouveau. Quand on sort d’une représentation du Freyschütz, d’Oberon ou d’Euryanthe, on peut s’écrier avec un poète aimé de la Souabe, avec Uhland : « Ce n’est point dans de froides statues de marbre, dans des temples sourds et muets, c’est dans les forêts fraîches et sonores que vit et respire le Dieu des Allemands. »