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des gens heureux. Il les regardait comme des capacités pratiques. Nos marins ont été fort heureux, donc fort habiles. Il faut utiliser cette habileté reconnue, et cela dans le cercle de leur spécialité. Or voici ce qu’il reste à explorer de plus curieux au monde.

En pénétrant dans la Mer-Glaciale sur notre méridien, mais de l’autre côté du monde, qui a midi quand nous avons minuit, par le détroit de Behring, on trouve, en remontant à gauche dans les mers de Sibérie, un bassin peu exploré qui arrive à des îles qui ont reçu le nom de Nouvelle-Sibérie. C’est là que de temps immémorial la race qui fait le pendant de nos Esquimaux d’Europe et d’Amérique va chercher en hiver cet ivoire antédiluvien qui, sur nos billards, roule en concurrence avec celui des éléphans contemporains d’Asie et d’Afrique. Or toutes les relations, tous les renseignemens nous donnent ces îles comme les catacombes du monde animal primitif. J’avais espéré que M. le prince Demidof, qui avait annoncé un voyage scientifique par terre en Sibérie, nous donnerait la clé de cette grande énigme de la nature. Une expédition maritime, avec des relâches bien connus sur la côte sibérienne, serait bien plus efficace. Il faut qu’une mission spéciale française parte pour Nijney-Kolymsk et les îles découvertes en 1770 par Liakof (Liaikhov). Il faut, ajouter quelque chose à ce que le monde savant depuis 1804 répète sur les mammouths conservés intacts par le froid. Pour les végétaux comme pour les animaux, les trois ou quatre îles principales de ce groupe gardent des trésors d’archéologie organique. Si, suivant l’assertion de M. Guizot, contre-signée par M. Airy, l’astronome royal d’Angleterre, la France est le grand pionnier de la science, elle ne doit pas ignorer quand elle peut savoir.

Je ne parle pas de toutes les questions d’aurores boréales, de magnétisme terrestre, de pesanteur, de géographie physique que cette expédition pourrait examiner et résoudre, et je demande pardon de n’avoir pas mis avant mon nom ceux de MM. Duperrey et Dupetit-Thouars, qui ont infiniment plus d’autorité ; mais dans le domaine de la science, l’empire souverain est celui de la vérité. Un renseignement curieux, que j’ai oublié de mentionner parmi toutes les observations de la Reine-Hortense, c’est que, dans les mers arctiques qu’elle a visitées, l’aiguille aimantée, qui pointe ici vers le nord, se dirigeait là-haut vers l’ouest, et même un peu pis que cela. Il faut donner à M. Duperrey le moyen de mettre à jour ses cartes magnétiques jusqu’en 1860, et fournir au XXe siècle, qui maintenant nous talonne de près, des données dont il nous sera reconnaissant, ainsi que les siècles à venir.


BABINET, de l’Institut.