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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/256

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précieuse, que l’espoir seul de l’obtenir méritait une reconnaissance éternelle. Et quand la perspective de cet inappréciable avantage avait réjoui pendant quelque temps le cœur et l’imagination du pauvre débitant, Athanase inscrivait celui-ci parmi les hommes qui avaient reçu de lui un bienfait, et, ce qui est admirable, c’est que le marchand lui-même partageait bientôt la conviction d’Athanase.

La ville ne possédait ni médecin ni pharmacien. Athanase avait quelques connaissances en médecine ; il savait rouler des pilules avec de la mie de pain et confectionner des extraits de toutes les plantes aromatiques dont l’Asie-Mineure est si riche : il déclarait hautement que la profession de médecin lui était antipathique, que rien ne l’ennuyait plus que d’entendre les consultations des malades ; mais malheur au malade qui ne s’adressait pas à ce nouveau médecin malgré lui pour acheter une drogue ! Athanase le rangeait au nombre de ses ennemis. Celui qui priait timidement le grand docteur de s’occuper de lui ne recevait qu’un accueil froid et décourageant, souvent même un refus péremptoire ; mais le malade savait fort bien comment adoucir le rétif esculape. L’offre d’un fromage, d’une oque de miel ou de beurre frais, voire d’une chèvre ou d’un chevreau, était reçue avec dédain. « Je n’ai que faire de vos présens, répondait Athanase ; si je consens à vous soigner, ce n’est vraiment que par compassion et aussi pour me soustraire à votre importunité. Payez-moi seulement ce que me coûte la drogue que je vais vous donner, et je ne vous en demande pas davantage, car je me suis déjà ruiné six fois à acheter au poid de l’or des médicamens que je donnais gratis, et j’ai juré que cela ne m’arriverait plus. » On devine comment se terminait la consultation. Athanase offrait pour vingt piastres à son malade des pilules qui, disait-il, valaient à Constantinople cent piastres la douzaine. Le malade payait vingt piastres une pincée de farine privée de toute vertu curative, et quand il ne succombait pas, il restait l’obligé du faux médecin.

L’art du vétérinaire rapportait aussi à ce grand industriel un assez beau revenu. Aucun cheval ne tombait malade qu’Athanase ne fût immédiatement appelé à le soigner. Quelquefois l’animal se rétablissait malgré le docteur ; souvent aussi la maladie se prolongeait. Athanase la déclarait contagieuse, et consentait, non sans débats, à prendre le cheval pour lui. « Vous me faites là un présent dont je me passerais volontiers, disait-il avec humeur ; je tiens beaucoup à la bonne bête qui me sert depuis plusieurs années, et qui, sans être ce que vous appelez un beau cheval, n’en est pas moins de pur sang arabe. Il est vrai que je puis jusqu’à un certain point la préserver de la contagion, moyennant un secret que j’ai juré de ne révéler à personne ; mais je préférerais ne pas l’exposer à ce danger, et je n’ai