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son tribut. Bien en prit au secrétaire de cette précaution, car Athanase, qui devinait ses motifs pour se faire l’introducteur du jeune homme, se donna le divertissement de montrer à celui-ci qu’il ne faisait aucun cas de son compagnon, et que le bon accueil que lui-même recevait n’était dû qu’à son propre mérite et à la sympathie qu’il avait su lui inspirer. Benjamin comprit l’insinuation, et regretta l’argent si inutilement dépensé, mais il était trop occupé de la consultation qu’il allait avoir pour arrêter longtemps sa pensée sur le nouveau vide fait dans sa bourse.

— Vous avez donc besoin de ma science ? dit Athanase aussitôt qu’ils furent seuls.

— Je n’espère qu’en vous, effendi, répondit le jeune homme.

— Eh bien ! expliquez-moi sans rien omettre tout ce que vous éprouvez ; je pourrais sans doute le découvrir sans votre aide, mais je préfère vous entendre parler, car l’opinion qu’un malade se forme de son propre état est un symptôme des plus importans pour un médecin.

Benjamin, qui ne demandait pas mieux que de raconter ses souffrances, commença aussitôt. Ses insomnies, ses vagues tristesses, ses ardentes aspirations le mécontentement étrange qu’il éprouvait dans la société de ses parens ou de ses amis, le jeune homme n’oublia rien. Les symptômes qu’il décrivait avec une précision naïve ne pouvaient guère embarrasser un observateur aussi expérimenté qu’Athanase. À peine le jeune homme eut-il terminé sa confession, que le Grec, tout en gardant un sérieux imperturbable, lui adressa cette question : — Soupçonnez-vous quelqu’un de vous avoir jeté un charme ?

— Hélas ! oui, noble effendi.

— Une vieille femme sans doute ?

— Précisément.

— Et la voyez-vous souvent ?

— Tous les jours de ma vie : c’est ma belle-mère, la mère de ma fiancée, et elle demeure avec nous, car c’est la veuve de mon frère aîné, qui est mort à Constantinople.

— Est-ce une méchante femme ?

— Il faut qu’elle le soit pour m’avoir réduit à cet état, moi qui ne lui ai jamais rien fait ; mais à la voir et à l’entendre, on ne le dirait pas.

— Et vous devez épouser sa fille ? votre future vous plaît-elle ?

— Pas du tout, noble effendi ; comment l’aimerais-je, puisque je n’aime plus personne, et que je ne trouve plus dans mon cœur que de la colère et de l’aversion pour tout le monde ?

— Cela est grave ! Éprouvez-vous aussi quelque douleur dans l’estomac ?