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— C’est le cordonnier qui demeure à côté de la fontaine, dans la rue qui conduit au moulin…

— Je demanderai mon chemin, et je le trouverai.

— Bien. Vous présenterez ce papier à Michel, et vous direz que c’est de ma part. Il me doit de l’argent, trois mille piastres ; il y a cinq ans que je les lui ai prêtées, et je ne lui ai jamais demandé ni l’intérêt ni le capital. Il est à son aise pourtant, et il me paierait du jour au lendemain, si je le voulais. Je lui écris de vous ouvrir un crédit sur ces trois mille piastres, et de vous avancer ce dont vous pourrez avoir besoin.

— Je n’ai que faire de tant d’argent, et si vous daignez me prêter seulement vingt ou trente piastres, elles me suffiront pour quelques jours. Je pourrai ainsi demander des fonds à mon père.

— Mais à quoi bon envoyer de pareils messages à votre père ? Il croira que vous voulez vous établir ici, que vous allez dépenser votre héritage à l’avance, et il ne vous enverra pas le sou, pour vous contraindre à rentrer dans le nid paternel. Suivez mon conseil, et vous me rendrez service, car je vous préfère, comme débiteur, à Michel au Long-Nez. Allons, c’est convenu, mais ce n’est pas tout. Vous êtes un garçon distingué, et le premier coup d’œil que j’ai jeté sur vous m’a révélé que l’avenir vous réservait une riche moisson d’honneurs et une grande existence. Pourvu que le charme qui pèse aujourd’hui sur vous soit brisé, votre fortune est faite. L’époque à laquelle nous vivons présente des chances nombreuses de succès à ceux qui savent les saisir. Je vois sur votre front le signe des grandeurs et des richesses futures. Voulez-vous être un grand homme, un homme puissant ?

— Assurément, noble effendi, si je savais comment m’y prendre.

— Il faut entrer dans l’armée.

— M’enrôler ? me faire soldat ?

— Qui parle d’enrôlement et de soldat ? Je vous ai demandé si vous vouliez être un homme puissant.

— Et je vous ai répondu que je ne demandais pas mieux ; mais me conseillez-vous de m’enrôler pour atteindre ce but ?

— Il y a enrôlement et enrôlement. Je ne conseillerai jamais à un homme comme vous de se faire soldat. Si je vous voyais prêt à commettre pareille folie, je me placerais devant vous, et je vous dirais : Vous ne ferez point un pas de plus sans passer sur mon corps. Vous faire soldat ! allons donc !… Mais vous n’ignorez pas qu’il existe entre les officiers supérieurs et les jeunes gens de mérite qui veulent suivre la noble carrière des armes des engagemens secrets, moyennant lesquels le jeune guerrier qui entre dans un corps est assuré d’obtenir à la première vacance un grade plus ou moins considérable.