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ment erreur et malentendu dans cette affaire, répartit le jeune paysan d’un air sérieux et digne. Cette somme n’était pas pour Athanase, mais pour moi, et, grâce au ciel, je n’en suis pas réduit à chercher de l’argent sous le couvert de quelqu’un, ou à m’en priver, comme vous avez bien voulu me le conseiller. C’est Athanase qui m’a offert de me passer sa créance sur vous, et si j’ai accepté, c’était simplement pour ne pas l’offenser par un refus, car je voulais écrire à mon père, et c’est Athanase qui a insisté pour que je devinsse son débiteur à votre place. Il n’y a pas de mal, et je vous salue.

Michel se repentait déjà de sa vivacité. Ce jeune homme devait être riche, puisque Athanase s’occupait de ses affaires. Qui sait si, en l’envoyant vers lui muni de cet étrange billet, Athanase n’avait pas conçu quelque merveilleux dessein pour dépouiller le jeune homme et partager le butin avec celui qui l’aurait aidé dans l’entreprise ? Pourquoi s’était-il si fort pressé de dire la vérité ? N’est-il pas toujours assez tôt pour cela ? Si Athanase avait menti, il avait sans doute de bonnes raisons ; s’il l’avait mis de moitié dans le mensonge, il le mettrait de moitié dans le profit qu’il en tirerait.

— Jeune homme, dit Michel à Benjamin, qui se disposait à sortir, je crains de ne pas vous avoir fait l’accueil auquel vous avez droit, et comme l’ami d’Athanase, et pour vous-même, car je vois bien que vous êtes d’un rang élevé. J’ai été surpris, je l’avoue, à la première lecture de ce billet ; et je n’ai pas rempli mon devoir envers vous. Asseyez-vous, je vous prie, et acceptez une pipe et une tasse de café. Nous causerons de vos affaires pendant que vous fumerez.

Pareille offre n’est jamais refusée en Orient, si ce n’est par un ennemi mortel et irréconciliable, et Benjamin n’était encore l’ennemi de personne ; il grimpa donc sur le divan placé au fond de la boutique, et s’y accroupit en prenant des mains d’un petit apprenti cordonnier la pipe bourrée et allumée. Michel adressa ensuite à Benjamin une série de questions pour l’obliger à déclarer son nom, et il apprit bien vite qu’il avait affaire au fils d’un des plus riches paysans des environs d’Angora. Il prit sur-le-champ un air parfaitement gracieux ; il connaissait de réputation l’honorable Mehemmedda et ses richesses.

— Je disais donc, mon cher Benjamin, reprit Michel, que nous n’avons pas à nous préoccuper de ma dette ou prétendue dette envers Athanase, qui saura bien la prouver, si elle existe ; mais ce qui importe, c’est de ne pas vous laisser dans l’embarras.

— Je ne suis nullement embarrassé, Michel. J’ai accepté la proposition d’Athanase pour ne pas l’offenser, comme je vous l’ai dit ; mais je n’ai qu’à écrire à mon père…