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main et prit un air plus satisfait. — Mais cela n’empêche pas, continua Athanase, que ce cheval ne demande des soins, une bonne nourriture, un bon traitement, et ce régime que vous et moi connaissons seuls. Et en vérité si ce n’était précisément ce régime que je puis enseigner à mon jeune ami, je ne lui conseillerais jamais d’en faire l’acquisition. Voulez-vous sept cents piastres ?

— Impossible.

— Eh bien ! nous trouverons ailleurs. Partons, mon jeune ami ; j’ai autre chose en vue pour vous.

— Voyons, mon cousin, ne soyez pas si dur pour les pauvres gens. Donnez-moi ce que vous voudrez au-dessus des sept cents piastres et n’en parlons plus.

— Envoyez le cheval près de la fontaine, au khan des voyageurs, où demeure mon jeune ami. Quant au paiement, vous viendrez le chercher chez moi ; mais ne vous flattez pas de recevoir un para au-delà de sept cents piastres. Ah ! j’oubliais, le licou est compris ? (C’était un bout de vieille corde noué autour de la tête de l’animal.

— Oh ! cousin, noble effendi, seigneur, vous êtes en vérité trop dur pour un pauvre diable tel que moi. Ajoutez dix piastres pour le licou…

— Pas un para, ai-je dit ; le licou par-dessus le marché, ou rien n’est fait.

— Hélas ! hélas ! vous êtes le maître. À la prochaine fois du moins traitez-moi avec plus de charité. Me le promettez-vous ?

— Oui, oui, je t’aiderai à te refaire sur quelque riche étranger à la prochaine occasion.

Cyriagul essaya bien encore de se défaire d’un autre cheval et de tous les vieux harnais dont il ne se servait plus, mais Benjamin était devenu pensif, et Athanase craignait que la petite scène du mouchoir ne lui fût restée dans l’esprit. Aussi s’empressa-t-il de le distraire en le conduisant d’abord dans un café où il commanda des pipes et des liqueurs que Benjamin paya, et ensuite chez d’autres marchands où l’équipement du jeune volontaire fut complété.

J’ai hâte d’en finir avec ce triste épisode. Aussi me bornerai-je à exposer brièvement quelle fut, après l’achat du cheval borgne, la conduite d’Athanase vis-à-vis de Benjamin. L’obligation pour les trois mille piastres que le fils du paysan avait empruntées de Michel demeura entre les mains d’Athanase, qui se réservait d’en faire usage plus tard. Chacun des fournisseurs qu’Athanase se chargea de satisfaire avec les trois mille piastres en question ne reçut qu’un faible à-compte sur le prix des objets achetés par Benjamin, de telle sorte que la très grande partie des trois mille piastres demeura dans les poches d’Athanase. Ce fut également entre les mains d’Atha-