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aussi estimable par son mérite personnel avait droit, que sa protection ne cesserait jamais de l’accompagner dans ses voyages et ses divers résidences, enfin qu’il s’offrait de bon cœur comme intermédiaire entre la famille du paysan et le jeune soldat.

Dans sa première visite, Athanase employa ce rare talent de séduction qui ne manquait presque jamais son effet. Il loua la salubrité de l’air et la pureté des eaux de la vallée, qui suffisaient à ranimer en un instant un appétit aussi blasé que le sien. Il but le café de Mehemmedda et fuma son tabac avec délices ; le bekmès, le fromage, le beurre, le miel et les pâtisseries de la ménagère lui allèrent droit au cœur. Le bon vieillard, déjà charmé, mena son hôte visiter ses troupeaux, ses poulains et ses jumens, et il entendit pour la première fois de sa vie des éloges sur son intelligence et sur son habileté qui le remplirent d’une douce satisfaction. Athanase comprit en un instant toute l’étendue des ressources du vieillard, et il se promit bien de tirer profit des renseignemens obtenus. C’était une mine d’or qu’il venait de découvrir ; mais il lui fallait d’autres conquêtes encore que celle des deniers de Mehemmedda. La confession de Benjamin au sujet de sa belle-sœur et de ses charmes était demeurée gravée dans sa mémoire. Dans les folles explications de Benjamin, il avait promptement reconnu l’existence du véritable et pur amour qui s’ignore encore, et il se disait, en fin connaisseur qu’il était, que la femme assez séduisante pour inspirer une telle passion, assez innocente pour ne pas la deviner, devait être fort supérieure à toutes celles dont il se voyait entouré. Lors de l’arrivée d’Athanase sous le toit du paysan, Sarah s’était d’abord enveloppée de son grand voile, puis elle s’était retirée dans l’intérieur de l’appartement, pour ne plus faire dans la salle commune que de courtes apparitions ; mais un rapide coup d’œil avait suffi à Athanase. — Voilà donc une femme ! s’était-il dit avec joie. Si je ne me suis pas complètement rouillé dans cette maudite province, deux mois ne seront pas écoulés, mon pauvre Benjamin, que la sorcière dont tu redoutais le magique ascendant aura complètement oublié sa victime.

Après avoir dupé le frère d’Osman, Athanase se flattait donc de séduire sa veuve, et la famille du brave Mehemmedda devenait pour l’aventurier grec l’objet d’une campagne en règle dont il nous reste à raconter les opérations.

Christine Trivulce de Belgiojoso.

(La dernière partie au prochain n°.)