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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/298

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de celle de son roi. Le roi était pour lui le chef de l’aristocratie, et on ne pouvait lui désobéir sans félonie. Le jour même où la guerre était déclarée, il disait encore que l’autocratie paternelle, tempérée par une noblesse forte, riche, éclairée, indépendante, était le seul gouvernement qui pût faire le bonheur des peuples, et il prophétisait de bonne foi la chute prochaine de cette maison régnante qui ne craignait pas de se mettre à la tête de la révolution. Néanmoins il faisait don à l’armée de la moitié de ses chevaux et se rendait en personne auprès de Charles-Albert pour demander que le second de ses fils, âgé de dix-huit ans, sortît officier de l’académie militaire sans avoir terminé son cours d’études, « fin qu’il eût l’honneur de répandre son sang pour le service de son roi. » A cette nouvelle preuve d’un dévouement héréditaire, une seule réponse était possible : le contino Ermenegildo de Baldissero fut nommé sous-lieutenant au corps des bersaglieri.

Le hasard voulut que dans la compagnie même du jeûne comte Mario Tiburzio fût incorporé comme soldat, grâce à l’intervention de Poggei auprès du marquis. Poggei avait sollicité pour lui cette faveur d’un ton ironique : « La discipline de fer du régiment, disait-il, calmera cette tête folle, et aux premières balles de l’ennemi s’évanouira comme par enchantement toute son ardeur belliqueuse. » Le marquis, plus capable que Poggei de comprendre les nobles actions et les grands caractères, avait applaudi à la résolution de Tiburzio, et employé avec succès son crédit en sa faveur. Il se montra même curieux de voir de près un bourgeois qui ne paraissait pas, comme ses pareils, « un bavard dépourvu de toute bravoure, » et il lui fit dire par Poggei qu’il désirait lui remettre en personne son brevet d’enrôlement. Mario fut exact à l’heure indiquée. Le marquis l’accueillit avec des complimens mérités sur les sentimens généreux et patriotiques qui l’animaient, et ne craignit pas d’engager avec le brave Romain une conversation ou plutôt une discussion sur les vrais principes de l’organisation politique, discussion courtoise et sérieuse, comme il convenait à deux hommes qui étaient bien de la même classe par l’intelligence, par le cœur, et aussi par la noble simplicité des manières.

Un incident qui trouble cet entretien offre à l’auteur l’occasion de nous montrer son héros accomplissant le plus pénible des sacrifices et refusant de venger son honneur outragé pour se conserver à la noble cause dont il est devenu le soldat. Le jeune comte de San-Luca est entré brusquement dans le salon où le marquis a reçu Mario. C’est un écervelé, compagnon de plaisirs du marchesino, un de ces jeunes fats occupés uniquement de jeu, de femmes et de chevaux, qui parlent français quand ils veulent débiter de fades galanteries,