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« — Qu’entendent ces messieurs par une réparation d’honneur ?

« Les témoins de San-Luca échangèrent un rapide et ironique regard. Puis le marchesino reprit avec une dédaigneuse insolence : — Avez-vous jamais entendu parler dans vos provinces, dit-il, d’une certaine chose qui s’appelle duel ?

« Selva et Romualdo voulaient répondre, mais Tiburzio leur fit signe de lui laisser la parole. — Oui, répondit-il, j’ai même vu beaucoup de duels, la plupart ridicules, les autres absurdes. Celui que ces messieurs me proposent serait tout ensemble absurde et ridicule.

« Le chevalier de Belfiore reprit brusquement : — Pas tant de discours. Cela veut dire que vous refusez ?

« — J’ai un trop vif désir de me battre ailleurs pour perdre mon temps à me battre avec monsieur le comte.

« — Prenez garde ! dit le marchesino.

« — Beau champion des héros aux pieds rapides ! ajouta le chevalier.

« Mario fronça le sourcil. — Ne m’insultez pas ! s’écria-t-il.

« — Votre conduite est peut-être prudente, dit le marchesino ; mais prenez garde qu’elle ne le soit assez pour être qualifiée autrement.

« — Monsieur le marquis, interrompit Mario, qui s’échauffait, je combattrai dans la compagnie même de votre frère ; j’espère qu’après la première bataille il pourra vous dire que je ne mérite pas un tel outrage.

« — C’est bien, c’est bien, dit insolemment le chevalier ; nous n’avons pas à nous occuper de l’avenir. Pour le présent, voici les faits : ce matin, il ne s’agissait que de parler, et vous étiez plein de hardiesse ; ce soir, il faudrait agir, et vous baissez le ton. Nous ne pouvons nous en tenir là. Le comte exige absolument que vous vous battiez, ou que vous lui fassiez d’humbles excuses.

« — Je ne ferai ni l’un ni l’autre, dit Mario, articulant chaque mot avec autant de fermeté que de lenteur.

« — Vraiment ! Le comte veut une satisfaction, et vous la lui refusez ? Alors il sera en droit de la prendre lui-même, et il n’y manquera pas.

« — Qu’il fasse ce qu’il pourra ! répondit gravement Mario.

« Le chevalier rejoignit San-Luca, qui avait allumé un cigare et le fumait avec une apparente indifférence.

« — Monsieur, dit-il, se refuse à tout arrangement honorable. Notre intervention n’ayant abouti à rien, agis comme tu l’entendras.

« San-Luca s’avança vers Mario en agitant sa badine. Quand il fut tout près, il dit d’une voix altérée : — Puisqu’il en est ainsi, aux insultes des gens de votre espèce voici comment on répond.

« Et il leva sa badine pour en frapper Mario au visage. Mario jeta un cri terrible ; ses yeux lancèrent des éclairs, l’indignation faisait affluer le sang à sa figure. Prompt comme la pensée, il saisit la canne, la brisa comme un roseau, en jeta les morceaux loin de lui, puis étendit violemment la main vers la poitrine de San-Luca. Le marchesino et le chevalier s’avancèrent vivement pour défendre leur ami ; mais Selva et Romualdo, d’un même mouvement, les forcèrent à s’abstenir de toute intervention.

« — Arrière tous ! s’écria Tiburzio avec force ; arrière tous, ou je casse la tête au premier qui m’approche.