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en toute chose l’opposé de ce triste officier. Petit et grêle, il avait l’air d’un enfant. On retrouvait en lui la fierté dédaigneuse de sa race ; mais ce défaut était tempéré par une amabilité naturelle et une franchise de jeune homme auxquelles ses subordonnés, non moins que ses collègues, rendaient pleine justice. Il aimait la guerre pour la guerre et n’y cherchait qu’une occasion de montrer sa valeur ; il avouait que la cause italienne le touchait fort peu. Venu à l’armée avec toutes les préventions de sa caste contre les libéraux, il ne cherchait point à dissimuler son éloignement pour ceux d’entre les volontaires qui étaient sous ses ordres, et il usait envers eux d’une sévérité plus grande qu’envers ses autres soldats. C’était surtout Mario qu’il regardait de mauvais œil, d’abord à cause de l’affaire San-Luca, qu’il avait entendu présenter par son frère le marchesino sous les couleurs les moins favorables au Romain, ensuite parce que celui-ci avait pris bien vite sur ses camarades un ascendant extraordinaire : moralement Mario était leur chef, bien plus que le capitaine et tous ses lieutenans. Le volontaire cependant avait trouvé le moyen de neutraliser les malveillantes dispositions du contino en ne lui fournissant aucune occasion de punir : il était sans contredit le plus diligent, le plus soumis, le plus capable des soldats. C’était un beau spectacle de voir cet homme parvenu à l’âge mûr, doué de talens réels et d’une vaste instruction, se montrer respectueux sans bassesse devant un enfant à qui son grade donnait le droit de se répandre contre lui, avec ou sans raison, en reproches et en dures paroles. Il devait en souffrir, cela n’est pas douteux ; néanmoins il ne laissa jamais, par un mot ni par un geste, ses amis les plus intimes deviner ses secrets sentimens.

Le 8 août 1848 eut lieu la première rencontre de l’armée piémontaise avec les Autrichiens au passage du Mincio. La compagnie Baratoggi, placée à l’avant-garde, se trouva l’une des premières engagées. En l’absence du capitaine, qui avait disparu, comme nous l’avons dit, officiers et soldats n’écoutèrent que leur ardeur et se précipitèrent pêle-mêle sur le pont de Goïto, qui n’était qu’à moitié rompu ; à l’extrémité, il ne restait qu’un étroit passage sur lequel les assaillans ne pouvaient passer que l’un après l’autre. Le contino, Mario et quelques autres arrivaient en même temps à la course ; chacun dans l’intention évidente d’être le premier. Mario écarta ses deux concurrens avec violence et se précipita en avant. Il reçut deux ou trois balles dans son schako et dans son sac, il eut même l’épaule frappée ; mais personne dans sa compagnie, par conséquent dans l’armée, n’eut l’honneur de plonger avant lui son sabre-baïonnette dans le sang autrichien. Le soir, après la victoire, il était avec plusieurs de ses camarades autour d’un feu de bivouac.