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devait tomber. Smaragdus est le premier magistrat de Rome, — mais ce magistrat est un préfet, l’élu du pouvoir impérial et non de ses concitoyens ; — il commande, non, il est vrai, à la capitale du monde, mais au chef-lieu du duché de Rome. — Ce préfet, qui n’est connu de l’histoire que par ses lâches ménagemens envers les Barbares, imagine de voler une colonne à un beau temple, au temple d’un empereur de quelque mérite, pour la dédier à un exécrable tyran monté sur le trône par des assassinats, au meurtrier de l’empereur Maurice, à l’ignoble Phocas, que tout le monde connaît, grâce à Corneille, qui l’a encore trop ménagé. Et le plat drôle ose appeler très clément celui qui fit égorger sous les yeux de Maurice ses quatre fils avant de l’égorger lui-même. Il décerne le titre de triomphateur à Phocas, qui laissa conquérir par Chosroès une bonne part de l’empire. Il ose écrire : « Pour les innombrables bienfaits de sa piété, pour le repos procuré à l’Italie et la liberté. » Ainsi l’histoire monumentale de la Rome de l’empire finit honteusement par un hommage ridicule de la bassesse à la violence.

Puisqu’on en est venu là, puisque Rome a perdu, avec la liberté, toute vertu, tout courage, toute grandeur, tout ce qui pouvait faire désirer qu’elle ne disparût pas du monde, puisqu’elle n’est plus qu’une grande honte étalée aux regards des hommes, il vaut mieux qu’elle tombe sous un coup terrible que de traîner ainsi. En présence de la désorganisation que le pouvoir absolu a fait peu à peu pénétrer au cœur de la société romaine, ne voyant aucun secours, n’attendant aucun remède, je laisse échapper ce cri désespéré : Eh bien ! viennent les Barbares !

Ils sont venus, ils ont paru sous les murs de Rome. Rome avait vu autrefois un danger pareil. Annibal avait menacé ses portes, les Gaulois avaient occupé le Forum et incendié la ville ; mais alors Rome était libre, elle possédait les vertus que donne ou plutôt qui donnent la liberté. Aussi Annibal avait été repoussé, le Capitole avait résisté aux Gaulois. Aujourd’hui, abandonnée par les maîtres auxquels elle s’était abandonnée, livrée par ceux auxquels elle s’était livrée, Rome ne pouvait plus se défendre. L’esclavage avait usé sa force. À la longue, les fers gênent pour combattre, et on ne saurait plaindre un peuple qui expie le crime de la servitude par l’opprobre de la défaite.

Il ne s’agit plus pour Rome de conquérir le monde ; elle en est à défendre en vain le Capitole, et par là nous nous retrouvons, comme aux jours de ses premiers développemens, sur le théâtre de son histoire. Cette histoire, que nous avons vue commencer dans les fanges du Vélabre et sur l’esplanade du Palatin, est ramenée par la destinée vengeresse des extrémités du monde au point où elle a commencé.