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entre eux et de combiner leur résistance, cet argument n’était qu’un pur sophisme, puisque la ligue des ouvriers avait précédé celle des maîtres. Du côté des ouvriers était la coalition d’attaque : celle des maîtres, qui la suivit, n’était plus qu’une coalition de défense ; mais depuis longtemps, disait-on au nom des ouvriers, qui assurément s’étaient mis en mouvement sans songer à ces subtilités, depuis longtemps il y avait association des maîtres, the masters association, formée entre eux pour protéger leurs industries, amoindrir par leurs efforts combinés les charges de leur fabrication et en augmenter les profits. Les ouvriers n’avaient-ils pas le droit de s’associer, eux aussi, de leur côté, pour forcer leurs patrons à mieux rémunérer leur travail, à leur attribuer une part plus large dans les gains dont ils étaient les instrumens les plus efficaces ? La question ainsi présentée a pu égarer beaucoup de bons esprits : il importe donc d’opposer à des argumens sophistiques une plus exacte appréciation des faits.

La loi anglaise autorise les associations, elle autorise même les coalitions. Cette loi est d’une date assez récente, et il y a dix ans à peine, nos voisins n’avaient pas de ces tolérances. Le régime de répression établi par nos codes dans l’intérêt de l’ordre public était, il y a dix ans, à très peu de chose près, en Angleterre, ce qu’il est aujourd’hui chez nous. Les coalitions y étaient interdites aussi bien aux maîtres qu’à leurs ouvriers. Cependant l’Angleterre a pour maxime (et c’est le caractère qui domine toute sa législation) que la société se défend par elle-même, et que l’individu a droit à la plus grande somme possible de liberté. D’après ce principe, elle a abrogé la loi contre les coalitions. Plus d’une fois, pendant la longue et périlleuse épreuve par laquelle la grève de Preston a fait passer l’industrie du pays, l’Angleterre a pu douter de la sagesse de ses législateurs et accuser leur imprévoyance ; mais la faute, si c’en est une dans le système général des institutions anglaises, avait été commise : la loi existait, et il est de fait que depuis plusieurs années déjà la majeure partie des manufacturiers de Preston, usant de la faculté qu’elle leur donnait, s’étaient formés en association. Seulement il importe d’examiner ce qu’était cette association des manufacturiers : il convient de ne pas en juger sur le nom seul, et nous n’hésitons pas à dire qu’il y a mauvaise foi ou ignorance à l’assimiler à la ligue ouvrière, que l’on a représentée après coup comme un acte de légitime défense, et à prétendre, ainsi qu’on l’a fait, que l’association primitive des fabricans menaçait tout aussi bien la liberté des ouvriers que la coalition des ouvriers a menacé plus tard la liberté des fabricans. Pour quiconque est familier avec les habitudes des manufacturiers de tout pays, il est notoire qu’ils répugnent aux associations.