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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/398

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leurs discours. Rarement il y eut de leur part provocation directe au désordre, et quand leurs sentimens, leurs théories, leurs récriminations étaient le mieux faits pour enflammer leur auditoire, ils lui recommandaient l’ordre et la tranquillité. Le plus souvent, il faut le dire, ils étaient obéis, tant leur influence sur les masses était puissante et la discipline respectée. Vers la fin de cette longue dispute cependant, quand la cause était perdue aux yeux des moins clairvoyans et que les ménagemens ne pouvaient plus la servir, plus d’un orateur s’en affranchit. On ne prononçait plus alors les noms des manufacturiers sans les accompagner d’épithètes injurieuses, dont les moins outrageantes étaient celles de cotoncrates et shoddyocrates[1]. On les appelait aussi les vampires du peuple, les suppôts de Satan. C’est surtout dans les adresses écrites, dans les communications faites par le comité de secours aux travailleurs, que la haine débordait. On s’adressait alors aux plus mauvais instincts du peuple, à ses passions les plus basses, à celles qui partout, quand elles prévalent, le poussent à la guerre sociale.


« Bien longtemps (lisait-on dans une lettre de remercîment adressée aux ouvriers d’une ville voisine), bien longtemps avant que les ouvriers de Preston se fussent résolus à revendiquer leurs droits, ils n’étaient plus que les serfs maltraités et méprisés de leurs maîtres : nos bras étaient pour eux comme une mine d’or de la Californie, et chaque jour nous descendions d’un degré de plus dans la fosse de misères et de souffrances. Qu’était-ce que cette prospérité commerciale tant vantée de notre pays ? Plus de richesse pour le riche et plus de pauvreté pour le pauvre. Et parce que nous avons demandé à prendre notre part dans cette fortune que nous créons, parce que nous nous sommes unis, comme c’était notre droit, pour l’obtenir, ces maîtres impitoyables, les lords du coton de Preston, nous ont jetés hors de leurs manufactures, et trente mille créatures de Dieu souffrent de la faim et en périssent. Espérons des temps meilleurs ! un jour viendra où le monde sera ce que le grand architecte a voulu qu’il fût, non un lieu de malheur, d’oppression et de souffrance, mais un séjour de paix, d’abondance et d’amour ; l’avarice en sera bannie, et avec elle toutes les mauvaises passions nées du système actuel de fraude et d’injustice… La terre n’est pas faite pour le malheur du peuple ; le Dieu impartial n’entend pas que les biens qu’il lui fait produire soient inégalement partagés. Il est contre sa volonté que celui qui sème et moissonne le grain en manque pour se nourrir, que ceux qui filent et tissent les étoffes n’en aient pas pour se couvrir, tandis que celui qui ne travaille pas possède plus de toile, de soie et de satin pour sa seule personne qu’il n’en faudrait pour satisfaire aux besoins de douze ouvriers et de leurs familles. Cette société, dans laquelle un petit nombre est gorgé de toutes choses et le plus grand nombre dénué de tout, a duré trop longtemps ; nous en appelons au peuple de notre pays pour qu’il nous aide à établir un autre système, un système qui procurera

  1. Aristocrates du coton, aristocrates de la bobine.