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on touchait au déclin de la grève. Les ouvriers s’adressèrent de nouveau à lord Palmerston. Pendant deux heures, le ministre voulut bien discuter à fond la matière avec la députation, qui le quitta charmée de son affabilité, mais convaincue que sa seigneurie ne se mêlerait jamais d’une question de salaires, et que, dans son opinion, des considérations morales n’y avaient rien à faire.

La cause des ouvriers allait d’ailleurs être frappée d’un coup plus rude. La cherté du blé, les appréhensions croissantes causées par l’imminence de la guerre, une rareté subite du numéraire, qui avait fait monter le taux de l’escompte de son prix ordinaire de 3 pour 100 jusqu’à 5, et par momens jusqu’à 6, étaient autant de circonstances fatales dont le commerce et l’industrie de l’Angleterre avaient à souffrir tout à la fois. Les manufacturiers producteurs d’étoffes de coton s’en trouvaient atteints plus particulièrement, par suite de leur immense mouvement d’affairés et à cause du système de crédit en usage entre eux et leurs acheteurs ; la marchandise s’amoncelait dans leurs magasins. Pour faire face à ces embarras, les uns réduisirent les salaires de leurs ouvriers, les autres ne leur donnèrent plus à travailler que quatre ou trois jours par semaine. C’en était fait dès-lors des contributions, et par cela même de la grève, qui ne pouvait s’en passer. Dans l’une des dernières semaines du mois de mars, ces contributions s’étaient élevées à 3,337 livres ; dans la seconde du mois d’avril, la recette tomba à 946. Vainement les délégués cherchèrent-ils, par deux emprunts successifs, l’un de 400, et l’autre de 600 livres, à couvrir une partie du déficit. La ressource était insuffisante et devait même leur faire promptement défaut. Ils affectaient pourtant encore de la confiance pour en imposer aux ouvriers ; en ce moment encore, ils se faisaient forts d’être en mesure de donner, pendant six autres mois, 5 shillings par semaine à chaque individu en grève. Cette jactance ne pouvait tenir longtemps contre des difficultés trop évidentes.

Le dimanche 30 avril, à l’heure ordinaire de la distribution, il fallut confesser aux malheureux qui s’étaient assemblés au Cockpit pour y recevoir le denier hebdomadaire qui, malgré son insuffisance, était leur unique ressource, que ce denier même, on ne l’avait plus à leur disposition. Il y eut, à cette triste communication, un moment de morne silence, qu’un des délégués rompit en faisant remarquer que, dans l’état des choses, ils avaient besoin de délibérer en secret. La foule s’écoula, et le lendemain une adresse du comité exécutif des travailleurs, affichée sur les murs, annonçait la fin de la grève en ces termes :

« Amis et braves concitoyens,

« Nous, soussignés, membres du comité exécutif de l’association des tisserands,