Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/482

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
478
REVUE DES DEUX MONDES.

qui se retrouve après tout en germe dans la dernière préface du chansonnier. C’est ce qui explique comment Béranger s’est toujours senti une piété singulière pour Napoléon ; il a chanté l’empereur non-seulement pour ses malheurs et pour ses défaites, mais encore parce qu’il fut l’organisateur de la démocratie. Il est vrai que le poète ajoute aujourd’hui qu’il a chanté l’homme, non le souverain : simple manière de s’entendre avec lui-même et de ne pas se brouiller avec la république en restant d’accord avec l’image impériale. Béranger a eu souvent dans sa vie de ces façons de tout arranger. Il chansonne la révolution de février, et il garde sa spirituelle vengeance en portefeuille. Il décoche plus d’un trait acéré contre les utopies modernes, et il adresse en même temps un hymne à l’Idée. Sait-on la raison de ces contradictions ? C’est que Béranger, en possession d’une grande gloire, a voulu la garder jusqu’au bout et ne point brusquer cette popularité si habilement conquise. Et sait-on aussi l’explication de cette gloire ? Elle est moins dans le talent du poète que dans sa conduite. C’est que Béranger, avec un instinct sûr et modeste, a su se mettre à l’abri des variations de la fortune. Tout ce que les hommes envient, il a pu l’avoir, et il ne l’a pas voulu ; il a pu, lui aussi, être dans des gouvernemens provisoires ou dans des ministères : il s’y est refusé. Ce désintéressement, qui était dans son goût, a été sa vertu. Il a su conduire sa vie, et c’est ainsi qu’il est arrivé jusqu’au bout, plus heureux que bien des poètes qui lui étaient supérieurs en génie ; c’est ainsi qu’il s’est vu élevé par son siècle a la plus haute renommée, avec un talent dont l’influence a été souvent funeste, et qui ne peut désormais que reprendre son niveau à mesure que le prestige des circonstances s’évanouira. Et qui sait si ces Dernières Chansons n’aideront pas à mieux juger Béranger en le ramenant à ce niveau plus modeste et plus vrai ? ch. de mazade.




AVÈNEMENT AU TRÔNE DE L’EMPEREUR NICOLAS, ouvrage rédigé d’après l’ordre d’Alexandre II, par M. le secrétaire d’état baron de Korf. — On n’avait pas attendu la mort de l’empereur Nicolas pour écrire l’histoire de son règne. Il y a une dizaine d’années déjà, un écrivain russe, M. Oustrialof, en racontait la première moitié, et vers cette époque aussi on voyait paraître plusieurs relations de la même période dues à des plumes étrangères. La plupart de ces ouvrages ne sont que de fades panégyriques ou des satires sanglantes sans aucune valeur littéraire. Cela est fort naturel ; il est certain que même aujourd’hui le moment de raconter le règne du dernier souverain de Russie n’est pas tout à fait venu. Pour bien juger l’empereur Nicolas, il faut attendre l’apaisement des passions qui s’agitent encore autour de sa tombe ; il faut attendre aussi que les résultats de la politique nouvelle suivie par le gouvernement russe ait mis en lumière les avantages ou les défauts de l’ancienne. À défaut de l’histoire, il y a place néanmoins pour certains documens destinés à la préparer, et c’est dans cette catégorie que figure l’ouvrage dont nous voudrions dire ici quelques mots. Les événemens qui ont ouvert le règne de l’empereur Nicolas avaient été particulièrement défigurés jusqu’ici par les historiens, faute de renseignemens suffisans sur les causes qui les ont amenés. On savait cependant en Russie qu’un récit détaillé de l’insurrection qui faillit renverser le pouvoir encore mal affermi de l’empe-