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ment, pouvant être sévère, elle consent à la clémence. Elle veut bien n’être pas le châtiment, elle pardonne, elle amnistie la nation. C’est à extirper jusqu’à la racine de cette prétention insolente que devront s’attacher sans hésitation ni retour tous ceux qui, en tout pays, à toute époque, opéreront ou espéreront le rétablissement d’un pouvoir ou d’une dynastie que les souvenirs n’ont pas protégés contre les révolutions. C’est là le vieil homme qu’il leur faut dépouiller à jamais, s’ils ne veulent à jamais lire leur avenir écrit sur la pierre du tombeau du dernier des Stuarts, et c’est là pourtant ce qu’étaient loin de comprendre les plus fervens amis de la restauration de 1814. Séduits par la fortune, surpris eux-mêmes d’un succès longtemps inespéré, ils ne pouvaient se figurer que la Providence n’eût pas choisi leur cause pour humilier l’orgueil humain. Or ces paroles mêmes peuvent avoir assez bon air quand elles sont inspirées par une philosophie chrétienne et qu’elles retentissent du haut d’une chaire comme un défi porté au prince du monde ; mais dans la sphère de la politique réelle, elles prennent un tout autre sens, et cette prétention d’humilier l’orgueil humain deviendrait, dans la bouche du pouvoir, l’étrange idée d’humilier le peuple qu’il régit. La belle invention pour un gouvernement de se donner pour une pénitence, dût-il borner ses rigueurs à commander l’abjuration ! Faites amende honorable à votre gouvernement, et puis croyez que vous êtes une grande nation !

Voici pourtant comme s’exprimait un des plus éminens esprits de l’école contre-révolutionnaire : « Une grande et puissante nation vient de faire sous nos yeux le plus grand effort vers la liberté qui ait jamais été fait dans le monde. Qu’a-t-elle obtenu ? Elle s’est couverte de ridicule et de honte pour mettre enfin sur le trône un gendarme corse à la place d’un roi français, et chez le peuple la servitude à la place de l’obéissance. Elle est tombée ensuite dans l’abîme de l’humiliation, et n’ayant échappé à l’anéantissement politique que par un miracle qu’elle n’avait pas droit d’attendre, elle s’amuse, sous le joug des étrangers, à lire sa charte, qui ne fait honneur qu’à son roi, et sur laquelle d’ailleurs le temps n’a pu s’expliquer. » (Joseph de Maistre.) Il peut être difficile, même au temps, d’expliquer comment une charte pourrait faire honneur au roi, si c’est un ridicule à la nation de s’y attacher. Évidemment il n’y a là qu’un compliment plaqué pour la personne royale, afin de ménager l’auteur en décriant son œuvre. Mais si tout le monde ne les exprimait pas avec une violence aussi ingénue, des sentimens analogues pouvaient avoir été rapportés de l’émigration, et c’est ici le fond des cœurs qui se dévoile. Qui que vous soyez, voulez-vous gouverner les hommes, gardez-vous de les outrager : la tyrannie elle-même les avilit, mais ne les insulte pas.