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même, ouvrirent le cours d’enseignement politique le plus utile dont jamais peuple ait entendu les leçons. Au milieu de la tranquillité générale, sous l’influence d’une prospérité jusqu’alors inconnue, fruit naturel du bienfait de la paix ajouté pour la première fois aux bienfaits généraux de la révolution, il se déploya un spectacle digne d’intérêt et d’envie : celui d’une nation formée, il le semblait du moins, par les plus fortes et les plus diverses expériences, s’essayant à perfectionner à l’œuvre le gouvernement tout à la fois nécessaire et nouveau que ses fondateurs mêmes avaient à peine cru possible. Trois années s’écoulèrent, pendant lesquelles le progrès fut continu et signalé même par deux ou trois conquêtes éclatantes. La loi des élections, la loi sur le recrutement de l’armée, la discussion célèbre d’une loi sur la presse, furent à la fois des dates et des résultats qui devaient, on le croyait alors, rester dans notre histoire politique.

Une grande prudence, et par conséquent un peu de timidité, car l’une ne va guère sans l’autre, caractérisait le parti qui dominait alors, et dont l’influence se signala par de réels services rendus au pays. Une certaine hésitation se trahissait dans sa marche. Des craintes et des scrupules venaient dans son sein s’ajouter aux dissentimens et aux rivalités inévitables. C’est dès-lors que put se laisser apercevoir dans ce parti, essentiellement modéré, la distinction de deux nuances qui tendront toujours à diviser tout parti de gouvernement, et qui sont très bien désignées par les dénominations connues de centre droit et de centre gauche. Cette distinction se prononça, s’attesta par la dissidence progressive de M. Lainé et de M. Royer-Collard. Ce n’est guère que pendant l’année 1817 que rien ne parut de ce qui les divisait, et que leur accord extérieur dissimula une divergence qui devait arriver jusqu’à l’antagonisme.

Il nous conviendrait peu d’opposer dans un parallèle ces hommes remarquables. Celui dont nos sympathies nous rapprocheraient le moins, et qui d’ailleurs, pour l’impartialité même, ne peut, il s’en faut, être sous aucun rapport égalé à l’autre, M. Lainé, réunissait encore des mérites divers, et sa mémoire est universellement respectée. Son esprit avait de l’élévation et de la subtilité, à défaut de force et d’étendue ; son talent, un peu déclamatoire, joignait la gravité à l’émotion. La pureté de sa vie, la simplicité de ses mœurs, la dignité de sa personne compensaient ce qui pouvait manquer à son caractère pour plaire et pour dominer. Susceptible de prévention et de défiance, il pouvait inspirer l’une et l’autre, et quelque chose d’incertain, de réservé et d’irritable ôtait à sa conduite cette franchise d’allure sans laquelle on ne gouverne pas longtemps. Le tour d’esprit et le genre de supériorité de M. Royer-Collard, sans compter tout le reste, n’allaient nullement à l’intelligence de M. Lainé, et s’il y a quelque chose de fondé dans cette distinction spirituelle de