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par quelques mots prononcés à voix basse. Ceux qui parlaient devaient être sous les arbres du verger. Benjamin avait reconnu ces deux voix, qui toute la nuit avaient troublé ses rêves : c’étaient celles d’Athanase et de Sarah. Il se rapprocha sans bruit de l’endroit d’où elles partaient, et, caché derrière un buisson, il put ne rien perdre d’un entretien sans doute commencé depuis longtemps, et qui s’animait de plus en plus.

Athanase déclarait qu’il ne pouvait consentir à de nouveaux retards. Pour décider Sarah à la fuite, il parlait de dangers qui les menaçaient : lui, chrétien, accusé d’aimer une musulmane ; elle, Sarah, qu’on soupçonnait de partager cet amour. — Mais, seigneur, répondait Sarah, vous savez bien que ces soupçons ne sont pas fondés, que je suis innocente !… — Comment le prouveras-tu ? reprenait Athanase, et il étalait alors devant la pauvre femme une perspective de persécutions et de calomnies. N’était-elle pas délaissée, méconnue dans sa famille ? On la croyait vieille et laide, tandis que la société de Constantinople serait éblouie de sa beauté ! C’est donc à Constantinople qu’elle vivrait désormais, dans un monde digne de l’apprécier, et à ce propos, voulant prouver à Sarah quel pouvait être le prestige de sa beauté, Athanase eut l’imprudence de rappeler le nom de Benjamin, de raconter la singulière démarche qu’était venu faire près de lui le jeune paysan. Quelle influence exerça sur Sarah ce triste et doux souvenir ? À voir le trouble subit de la jeune femme, Athanase put croire qu’il avait gagné sa cause, alors que Sarah venait au contraire de trouver des forces nouvelles pour la résistance. Aux instances d’Athanase elle opposa ses devoirs de mère, son attachement à l’humble famille dont elle partageait depuis si longtemps les peines et les joies. Il ne restait plus au Grec qu’à user de la force, et il en était à se demander si l’heure était venue de prendre un parti extrême, quand l’apparition inattendue de Benjamin vint fort heureusement enlever Sarah à ses craintes et le Grec à ses hésitations.

Avant que l’un fût revenu de son trouble, et l’autre de sa joyeuse surprise, le jeune homme avait saisi d’une main le bras de Sarah, qu’il attirait vers lui ; de l’autre, il brandissait son épée, sommant son misérable adversaire de se défendre, car en ce moment suprême Benjamin restait encore fidèle aux sentimens d’honneur qui devaient le diriger à toutes les époques de sa vie. Athanase, lui aussi, prenait conseil de l’esprit de ruse qui chez lui ne se trouvait jamais en défaut. — Êtes-vous fou, Benjamin ? s’écria-t-il. La belle plaisanterie !… Pour une vieille femme qui n’appartient à personne ! — Et tout en débitant ce bel exorde, il trouvait le temps de saisir sournoisement un pistolet de poche, de l’armer, enfin d’en presser la détente ; mais