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jeune à la fois et sensée, capable beaucoup plus qu’on ne le croit et d’attachement et de souffrance, mais que possède avant tout et subjugue l’idée de la vocation. Après lui, qui dès l’enfance avait vu clair dans sa destinée, personne peut-être mieux que l’aimable jeune fille dont nous voulons aborder l’histoire ne pressentit mieux ce que l’avenir lui réservait.

La période de Wetzlar, que nous avons essayé d’étudier il y a quelques mois[1], est une période orageuse et pleine de conflits. Aux égaremens de cette heure critique bien d’autres auraient succombé, et qui sait si Goethe lui-même s’en fût tiré à son honneur sans l’intervention de cet intraitable Merck, à qui l’on fit payer cher plus tard le rude service rendu à cette occasion ? Remontons maintenant de trois ans le cours du dernier siècle : nous étions en 1773, passons à 1770, et suivons, à travers le train de la vie de jeunesse, cette âme qu’un premier amour va distraire. Ce n’est plus Jupiter olympien qu’il faut se représenter cette fois, mais Apollon, dieu de l’arc et de la jeunesse ; Apollon beau, rayonnant, superbe ! À la place de l’augure accoutumé, dont la bouche impassible rend des oracles, voici l’étudiant au cœur ému, au verbe impétueux, entraînant, entraîné, œil d’aigle, esprit de flamme ! — Ce qui l’amène à Strasbourg, on le saura plus tard ; en attendant, chacun se le demande. À quelque chose qu’il s’applique, il réussit à ce point qu’on croit surprendre là sa vocation. — Est-ce un médecin ? On le croirait, à le voir suivre si assidûment les cours d’anatomie et de clinique du docteur Ehrmann. — Un jurisconsulte ? Pourquoi pas ? Il ne quitte pas les bancs de l’école et sait par cœur son Joachim Hoppius. — Un architecte ? Tant de plans épars autour de lui, d’équerres et de compas, donneraient fort à le penser. — Un bel esprit peut-être ? Ma foi, je le crains bien, car l’Odyssée et Ossian l’accompagnent partout.


I

À peine arrivé à Strasbourg, Goethe se logea au côté sud du Fischmarkt, no 80, puis se mit aussitôt en mesure de porter ses lettres de recommandation. Il prenait ses repas dans une pension tenue par deux vieilles filles[2], et que fréquentaient journellement une dizaine de personnes, parmi lesquelles un chevalier de Saint-Louis et le docteur Salzmann, qui présidait la compagnie,

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 1er mai 1857.
  2. Les demoiselles Lautz, dans la Kraemergasse, no 13. Voyez, sur le séjour de Goethe à Strasbourg, Stöber, der Dichter Lenz ; voyez également Heinrich Viehoff, Goethe’s Leben, et G.-H. Lewes, Goethe’s Life and Works, t. Ier