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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/56

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mon front. J’étais sous ma porte, tenant mon enfant dans mes bras ; on menait au supplice Jésus, fils de Joseph et de Marie de Nazareth, qui se disait notre Messie. Je le haïssais, car nous aimions le sol de notre patrie, et lui, il nous ordonnait d’oublier notre patrie pour son ciel ; nous demandions des épées, et il nous enseignait à aimer le joug de l’étranger : ce n’était pas notre Messie. Il voulut se reposer sur mon seuil, mais je le repoussai du pied et l’obligeai à continuer son chemin. Il me dit alors : Viens avec moi, ton pied qui m’a frappé ne trouvera plus de repos jusqu’au jour où je reviendrai et fonderai mon royaume sur la terre. Aussitôt mon enfant tomba de mes mains ; je suivis Jésus, je le vis mourir sur la croix, puis je ne revis plus jamais ni ma maison ni mes enfans. Furent-ils dispersés comme la paille par le vent ou dévorés par le glaive ? Je l’ignore. Fugitif et errant comme Caïn, j’allais à travers les champs et les forêts, à travers les torrens et les montagnes. La fleur vers qui se tournaient mes yeux fermait aussitôt son calice ; l’herbe, à l’approche de mes pas, exhalait des gémissemens ; les oiseaux se taisaient au-dessus de ma tête, et le lion, qui, poussé par la faim, s’élançait sur moi en rugissant, s’enfuyait avec terreur sitôt qu’il m’avait reconnu. Pourtant les bêtes sauvages étaient encore compatissantes et tendres, si je les compare à mes semblables. Dans les villes et les contrées que je parcourais, les hommes m’abreuvaient d’absinthe et me nourrissaient de fiel ; ils versaient du poison dans mes blessures, ils me donnaient pour lit une couche d’épines. Si je voulais reposer ma tête, ils faisaient trembler le sol sous moi ; si je voulais pousser une plainte, ils étouffaient ma voix, dans ma bouche avec des charbons ardens. Partout où je portais mes pas, ils me saisissaient par les cheveux, ils amassaient du bois sur un bûcher et me précipitaient dans les flammes. Alors Jéhova, le dieu d’Israël, dont je porte l’éternelle loi au fond de mon cœur, envoyait son ange à mon secours, et les flammes avaient beau dresser vers moi leurs langues avides, l’ange m’arrachait aux flammes ; mes ennemis avaient beau verser mon sang à flots, l’ange me soulevait et ranimait mon corps. Vainement aussi ils me tenaient enfermé dans une nuit profonde, sa lumière rayonnait, et tout devenait clair autour de moi ; vainement ils me plongeaient dans la pourriture empestée des tombeaux, l’haleine de ses lèvres, en soufflant, me donnait une vie nouvelle. Je demandais souvent à Dieu : Quand cela finira-t-il, Seigneur ? quand auras-tu pitié de moi ? quand laisseras-tu tomber sur moi un regard de miséricorde ? quand verseras-tu du baume dans mes blessures ? quand me permettras-tu de trouver un peu de repos ? quand changeras-tu, ô Dieu, la haine en amour, afin que je cesse d’être un objet d’horreur et de risée pour les nations ? Vois : j’ai vu passer, j’ai vu se flétrir générations sur générations, comme se flétrit l’herbe des champs ; j’ai vu des royaumes s’élever, puis s’écrouler en poussière devant le souffle de ta bouche. Tout meurt, tout renaît ; moi seul, je suis toujours suspendu entre la vie et la mort, pareil à la goutte d’eau qui a coulé le long d’un seau de puits, et qui, suspendue sur l’abîme, est secouée par le vent, sans tomber jamais. Je suis allé jusqu’aux régions où des glaces éternelles enchaînent la terre, les sables de l’Arabie ont brûlé mes sandales, et nulle part, nulle part je n’ai trouvé une patrie où je pusse semer, et moissonner, et me coucher dans mon tombeau. Jérusalem, la cité magnifique, n’est plus qu’une ruine ; quand la rebâtiras-tu pour y ramener ton