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On pourrait en ce sens la comparer à la médecine, qui, elle aussi, ne peut être apprise sans un certain nombre d’accessoires plus importans peut-être que le principal. Pour être un agriculteur excellent, il faudrait être à la fois botaniste, mécanicien, chimiste, météorologiste, vétérinaire. De cette diversité même naît pour quelques-uns cette croyance, que rien de tout cela n’est nécessaire, et qu’on peut cultiver, comme on peut parler politique ou juger des opéras. D’autres au contraire, plus sérieux, sachant qu’il est impossible d’être universel et difficile de faire les choses sans les savoir, cherchent dans l’agriculture la science qui leur plaît le mieux. De même qu’il va des médecins chimistes, mécaniciens, anatomistes ou physiologistes, et que non-seulement les procédés, mais la définition même de l’art de guérir diffèrent suivant que l’on prend pour guide Broussais, Pinel ou Orfila, de même dans l’agriculture on peut s’attacher surtout à l’art de battre mécaniquement les récoltes ou de retourner la terre d’une façon plus parfaite, ou à la botanique et à la connaissance des plantes les plus fécondes et les plus industrielles, ou au commerce des animaux, ou à l’hippiatrique, ou à la chimie avec M. Liebig, M. Boussingault et M. Payen. Quelques personnes enfin savent y trouver de douces jouissances et des consolations, et l’on pourrait les dépeindre comme. Homère : Laertem lenientem desiderium…, colentem agrum et eum stercorantem facit[1].

Ajoutons enfin que toute cette collection d’arts et de sciences n’est pas toute l’agriculture, constituée essentiellement par leur concours sagement entendu et leur application à l’exploitation des terres, — de telle sorte que si l’on veut rester dans la généralité, on peut, sans rien exposer qui soit spécialement scientifique, donner les plus utiles conseils, satisfaire la curiosité des gens du monde et instruire les agronomes. C’est ce qu’ont fait des hommes distingués, l’un surtout qu’il est inutile de nommer aux lecteurs de la Revue, et dont le livre éminent est aujourd’hui dans toutes les mains. Pour atteindre un tel succès, il lui a suffi d’une grande connaissance de l’économie politique, d’un bon sens supérieur, d’une sagacité attentive et d’un style excellent.

On ne peut tenter de rivaliser avec M. de Lavergne, et c’est à un autre point de vue que le sien que nous voudrions nous placer. Avant d’attirer les yeux des écrivains et des savans, l’agriculture existait, et il n’est pas nécessaire d’être fort habile pour assurer qu’elle fut la première des sciences, si du moins les procédés que les premiers hommes employèrent pour se nourrir, et qui étaient plutôt instinctifs qu’empiriques même, sont dignes de ce nom. Elle

  1. Cicéron, De Senectute XV.