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très diverses, et ne sont-ce pas des choses fondamentales ? Vous assurez que la terre n’agit point dans la végétation et fournit seulement aux végétaux des sucs nourriciers, comme un puits fournit de l’eau à une pompe, et pourtant un champ qui n’a pas porté de récolte pendant un an est plus fertile l’année suivante, quoiqu’il semble n’avoir rien perdu ni rien gagné ! La terre a donc une force végétative qui s’accroît par le repos. Des animaux nourris suivant les préceptes de la science ont maigri, et une personne intelligente ayant élevé diversement deux troupeaux de dindons, le troupeau dirigé scientifiquement est mort, tandis que l’autre a prospéré. Des animaux qui mangent plus de sel que leur corps n’en doit contenir engraissent plus que les autres. Il y a donc des stimulans, et alors comment les distinguer des alimens proprement dits ? En un mot, là comme partout, on rencontre des esprits théoriquement opposés à tout progrès, d’autres qui aimeraient la science, mais qui nient sa perfection et son utilité, d’autres surtout qui se présentent comme des victimes de la science et se vantent d’avoir trouvé la ruine dans l’excès de savoir. De toutes ces objections, les unes ne doivent arrêter personne, les autres sont sérieuses. D’abord je ne pense pas que la science ait besoin d’être défendue, ni le discours de Rousseau réfuté encore une fois. S’il existe aujourd’hui même des ennemis acharnés de tout changement raisonné, d’aveugles amis d’une indolente oisiveté, qui croient imiter leurs pères en vivant fiers de leur ignorance, ce n’est point à de tels adversaires qu’on s’adresse ici. Ils ont bien d’autres choses à apprendre avant la chimie, et, comme on aurait dit au XVIIIe siècle, il faut qu’ils sachent être citoyens avant d’être agriculteurs ; la société moderne leur impose, sous peine d’une déchéance bien méritée, l’effort et le travail. Mais, sans imiter cette torpeur systématique, des hommes prudens pourraient avoir scrupule ou répugnance à s’abandonner au gouvernement de l’Académie des Sciences et à n’étudier l’agriculture que dans les traités de chimie : aussi n’est-ce point ce qu’on leur conseille. Nous voudrions seulement obtenir qu’on ne rejetât rien à priori, et qu’on sût distinguer, ce qui n’est pas aussi difficile qu’on le dit, la théorie probable de l’hypothèse gratuite, qu’on fit pour l’agriculture ce qu’on a fait heureusement pour toutes les autres industries, mais sans secousses, sans perturbations. Les conservateurs sages sont utiles peut-être en agriculture, mais là comme ailleurs les absolutistes sont funestes.

Quant aux jachères, au sel, à l’écobuage, aux labours, aux substances azotées qui ne fument pas, aux erreurs des chimistes agricoles, toutes les objections qu’on prend là sont puériles. La jachère est condamnée, car, pour qu’elle fût profitable, il faudrait que la récolte suivante représentât le produit de deux ou trois années, ce