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dédicaces, adressées par l’auteur, la première à une personne dont le stoïcisme n’était pas le caractère distinctif, à la reine Marguerite[1], la seconde à une dame qui n’est pas autrement désignée, et qui par cela même pourrait bien être la belle Diane de Chateaumorand, car l’auteur la prie d’éclairer ses discours d’un seul ray (rayon) de ses yeux, et de daigner les allumer de ces flammes dont leur père a tant ressenti d’embrasement. Si cette dédicace s’adressait en effet à Diane, comme la première édition des Epîtres morales, composées en 1595, parut en 1598, précisément l’année même où Diane demanda et obtint la dissolution de son mariage avec l’aîné des d’Urfé, il faudrait en conclure que nous avons trop concédé aux adversaires du récit romanesque de Patru en leur accordant que l’auteur de l’Astrée n’avait peut-être pas été aussi constant que Céladon, à moins qu’avec un parti pris d’interprétation machiavélique, on ne préfère admettre qu’en flattant ainsi en 1598 le cœur et l’amour-propre de Diane par une sorte de déclaration d’amour sous forme de dédicace, d’Urfé ne songeait qu’à faciliter le mariage d’intérêt,

  1. Cette première dédicace nous entraîne à plaider encore pour un des récits poétiques de l’avocat Patru contre une des réfutations impitoyables de M. Bernard. Suivant Patru, d’Urfé, ayant été fait prisonnier dans un combat contre les troupes royales, aurait été conduit dans une province voisine du Forez, en Auvergne, dans le château fort d’Usson, que tenait alors la reine Marguerite. Comme il était jeune, beau, spirituel, et même blessé, dit-on, dans le combat, il aurait produit sur le cœur très inflammable de cette princesse une vive impression, et plus tard l’épisode de l’Astrée où l’auteur nous peint Céladon retenu malgré lui dans le palais de la Nymphe (lisez princesse) Galathée qui cherche en vain à lui faire partager sa passion, ne serait, suivant Patru, que la reproduction romancée de cet incident de la vie de l’auteur. M. Bernard repousse cette anecdote comme fondée sur une impossibilité, attendu, dit-il, que d’Urfé et Marguerite suivaient alors le même parti, celui de la ligue. Cette assertion nous paraît contestable. Il est bien vrai que Marguerite, en se retirant à Usson après avoir quitté son mari, commença par arborer le drapeau de la ligue, qui était encore à ce moment le drapeau de son frère Henri III ; mais il est évident, à en juger par sa correspondance avec Henri IV, qu’après la mort de son frère elle n’attendit même pas la soumission de Paris pour se soumettre à son mari. Dès le 10 novembre 1593 elle lui écrit pour lui demander de garder la forteresse d’Usson en son nom. Dès lors, quoique nous ne prétendions pas garantir l’authenticité de l’anecdote racontée par Patru, nous ne voyons néanmoins rien d’impossible à ce que l’opiniâtre ligueur du Forez, qui se maintenait dans sa résistance à Henri IV jusqu’en septembre 1595, ait été conduit dans le château d’Usson par ceux qui l’avaient arrêté. Ce qui est certain, c’est que, d’après sa dédicace à Marguerite, il existait entre eux une certaine intimité qui datait de l’époque même où d’Urfé avait écrit ses Epîtres, composées durant son emprisonnement, puisqu’en les lui dédiant il lui dit : « Je n’aurois pas eu la hardiesse de les vous offrir, si le commandement que vous m’avez fait autrefois de les vous lire et la peine que vous avez prise de les écouter ne me donnoient assurance que vous les recevrez de bon œil. » Et comme, si je ne me trompe, de 1595 à 1598 Marguerite n’avait pas quitté le château d’Usson, ce serait dans ce château même qu’auraient eu lieu les lectures dont parle d’Urfé.