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lieux communs, on eût répondu : Langage du bon sens, esprit pratique. Si on eût dit qu’il est quelquefois irrévérencieux à tort, on eût répondu : Ironie socratique. Si on eût dit qu’il est trop souvent obscène, ou, si vous trouvez le mot trop fort, inconvenant (on ne saurait employer trop de nuances quand on parle de Béranger), on eût répondu : Gaieté française, et taisez-vous, cafard ! Si on eût dit enfin que ses fameuses odes et chansons nationales, célèbres à juste titre, et où brillent des beautés de premier ordre, étaient trop souvent essoufflées, asthmatiques, bourrées de chevilles et de vers plats, incolores, prosaïques, on eût crié à tue-tête : À bas le sycophante, et silence au mauvais Français ! Défendue par d’aussi invincibles argumens et par une garde aussi vigilante, la gloire de Béranger était vraiment inattaquable ; il en a donc joui avec sécurité, quiétude, plénitude. Il a pu la savourer lentement, à son aise, comme une volupté qu’il était sûr de ne voir finir qu’avec lui. Ce n’était pas encore assez cependant : il a fallu que toutes les gloires de ce siècle vinssent baisser leur pavillon devant la sienne ; les hommes les plus célèbres de notre temps, Chateaubriand, Lamennais, Lamartine, sont venus humblement en pèlerinage dans la retraite de Béranger pour demander pardon de leur catholicisme passé, expier leurs péchés de royalisme, et réclamer de cette main vénérée la confirmation démocratique. Enfin cet homme meurt chargé de jours ; le Moniteur annonce à la France la mort du poète national, l’état se convie à ses funérailles ; il est conduit à sa dernière demeure entre deux rangées de soldats, et, confessé ou non, lorsque sa dépouille vient recevoir la dernière absolution de l’église, l’orgue salue son entrée par l’air des Souvenirs du Peuple. Est-il beaucoup d’hommes, je le demande, même parmi les plus illustres, qui aient laissé

De leur passage un plus grand souvenir ?

Ainsi dans Béranger le personnage est très considérable. En est-il de même du poète ? La réponse est difficile. Le poète et le personnage ne faisaient qu’un, car c’est le poète qui avait créé le personnage. Il n’est arrivé encore à personne de les séparer l’un de l’autre, et de juger Béranger sur son mérite poétique seul. Quand on pense à Béranger, on pense aux événemens auxquels il a été mêlé, et il apparaît toujours comme poète militant, comme auteur de pamphlets rimés. La flèche siffle, on la suit dans son vol, on regarde le but où elle va frapper, et on ne s’inquiète pas de savoir de quel bois elle est faite. Le coup de fusil part, et la balle tue l’assaillant. — Quel habile tireur ! — se dit-on. Il ne vient à l’esprit de personne de se demander si le fusil repoussait, et de quelle qualité était la