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tort et à travers. Ainsi de Béranger dans les Dernières Chansons ; il ne rit plus, ne danse plus, ne raille plus, mais il sourit toujours, à chaque page. Ce n’est que lis et roses, violettes et papillons, azur et printemps. Un autre défaut de ce recueil, c’est que la plupart des pièces n’ont réellement pas de sujet : elles roulent, si l’on peut s’exprimer ainsi, sur la pluie et le beau temps. Ce qui m’étonne, c’est qu’après avoir pris congé du public, Béranger ait eu encore la velléité d’écrire : le public était la source de son inspiration. Aussitôt qu’il n’a plus eu le public en face de lui, et qu’il a voulu chanter pour lui seul, Béranger n’a plus fait d’efforts. Il s’est retranché d’ailleurs tous les sujets auxquels il aimait à s’attaquer. Comme un homme qui a beaucoup péché, il se met au régime et se sèvre de toute velléité d’opposition contre le gouvernement de juillet ; à peine quelques mots à voix basse en 1840, dans une chanson riche en contradictions, intitulée la Guerre, où le poète demande qu’on mate la félonie de l’oppresseur des Polonais, et préconise en même temps la paix comme le meilleur soutien de la liberté. La république de 1848 lui inspire une jolie chanson, les Tambours, d’un caractère équivoque ; l’auteur, ne sachant pas au juste s’il doit rire ou s’indigner, prend gaiement son parti d’accompagner les tambours à l’enterrement de la liberté. Le spectacle des mœurs contemporaines n’éveille plus sa curiosité. L’Or et Au Galop, chanson vive et rapide, sont à peu près les seules pièces où trouvent place les accidens de la vie moderne, sur le compte de laquelle le poète ne professe pas toujours une opinion indulgente. Enfin cette source d’inspiration qu’il avait ouverte la dernière, — la chanson démocratique et légèrement humanitaire, — à laquelle on aurait pu croire qu’il aurait puisé dans sa solitude, il l’a laissée tarir. Le vieillard n’a plus de temps pour toutes ces frivolités : il se prépare pour le grand voyage, et fait ses dévotions au Dieu des bonnes gens, car les opinions philosophiques de Béranger ont pris avec l’âge un accent quasi-religieux : la croyance en Dieu et en l’immortalité de l’âme revient à diverses reprises sous une forme d’acte de foi, et ce n’est pas le côté le moins inattendu du livre que cette transformation presque mystique du déisme de Béranger.

Pour porter un jugement impartial sur Béranger, il faut non-seulement autant que possible se placer en dehors des exagérations contraires des partis, mais éviter même de trop appuyer sur les nuances, car alors on courrait risque de créer un Béranger fantastique, comme celui que le parti catholique aime à se représenter et celui que le parti républicain s’était plu à imaginer. Béranger n’est pas un caractère aussi tranché et aussi simple qu’on l’a cru. Le dirai-je ? Politiquement, il me paraît un sceptique. Un opiniâtre instinct