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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




30 novembre 1857.

La réalité est une terrible puissance, qui a toujours sa place et une grande place dans les affaires du monde. De toutes les chimères de ce temps-ci, il n’en est pas une seule peut-être qui ne reçoive un cruel et ironique démenti des événemens. Est-ce un bien ? est-ce un mal ? L’excès du découragement vaudrait-il mieux que l’excès des illusions et de la confiance ? Toujours est-il que beaucoup de ces chimères dont s’est nourri notre siècle s’en sont allées ou s’en vont à chaque instant au contact d’une réalité qui se manifeste sous toutes les formes. Il y a quelques années, des congrès se réunissaient pour inaugurer solennellement l’ère de la paix universelle, et la guerre ne tardait pas à se montrer dans ce qu’elle a de plus grandiose et de plus tragique. La guerre ne s’est assoupie sur un point que pour se réveiller sur un autre, et partout la terre boit le sang des hommes. Vous ayez entendu parler d’une déification philosophique de l’humanité, de l’adoucissement des mœurs sous la bienfaisante influence de la civilisation, et le monde a frémi des épisodes qui lui ont été offerts en spectacle, comme il frémit encore des sanglantes horreurs de l’Inde. Jamais on n’a proclamé plus haut le règne illimité, universel de la liberté, et la liberté a eu d’assez tristes aventures qu’il est inutile de rappeler. Vous célébrerez par des dithyrambes, — cela se voit tous les jours, — l’essor de la richesse matérielle, la prospérité des intérêts, et aussitôt vous serez obligé d’ajouter le petit correctif de cette crise qui est venue infliger une rude épreuve au commerce, au crédit, à la puissance financière des plus grandes nations. Il en est ainsi de tout. La politique de l’Europe a certainement encore à l’heure qu’il est ses réorganisateurs, ses législateurs, qui règlent d’un mot toutes les questions, tranchent tous les différends, promulguent des droits nouveaux très propres à simplifier singulièrement l’œuvre de la diplomatie, et cependant la réalité est que l’Europe se trouve plus modestement engagée dans toute sorte de petites affaires