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et M. Auerbach doit être dégoûté tout le premier des insipides imitations que son succès a fait naître. Il est temps de retourner, non pas dans les salons de M. le baron de Sternberg, mais au sein de la société qui vit et qui travaille. Le domaine de l’action, voilà le domaine du romancier. Quelques écrivains semblent avoir compris la nécessité de cette transformation ; en face des deux classes de récits dont je parlais tout à l’heure, en face des romans historiques et des romans villageois, il y a aussi les tableaux de la société présente. Malheureusement les auteurs de ces compositions ne possèdent ni cette gravité morale ni cette netteté de style qui recommandent M. Auerbach. L’auteur des Chevaliers de l’Esprit, M. Charles Gutzkow, a attaqué intrépidement la peinture des choses contemporaines ; mais pour quelques scènes heureuses combien d’inventions fantasques ! Quelle absence de vérité ! Combien de chapitres où l’observateur disparaît pour faire place au bel esprit qui joue son rôle, à l’écrivain qui déclame ! Un professeur très distingué de l’université de Halle, un poète dont j’ai blâmé les vers, mais dont j’estime singulièrement l’activité courageuse et honnête, M. Robert Prutz, tour à tour chantre lyrique ou dramaturge, érudit ou romancier, a essayé aussi de peindre les mœurs et les caractères de son temps dans une série d’histoires émouvantes. Félix, le Petit Ange, la Tour des Musiciens, Hélène, attestent l’ardeur de son bon vouloir plutôt que la puissance de son talent. Les inventions de M. Prutz sont tantôt faibles, tantôt violentes ; la Tour des Musiciens, par exemple, est un mélodrame à la fois pénible et grotesque, et, ce qui est rare chez les écrivains de ce mérite, ces étranges aventures ne sont relevées par aucune pensée, par aucune intention philosophique. M. Prutz est revenu à l’histoire de la poésie ; il vient de donner une bonne traduction des comédies du poète danois Holberg, avec une curieuse étude sur les rapports littéraires de l’Allemagne et du Danemark. Sur ce terrain-là, M. Prutz est un maître, et je crois qu’il fera bien d’y rester. Quant à Mme Fanny Lewald, elle a trop de peine à se débarrasser de son panthéisme, et les fines observations que peuvent renfermer ses nouvelles sont presque toujours contrariées par des idées préconçues. Reste enfin M. Gustave Freytag, que le succès de son roman Doit et Avoir a placé au premier rang. Il s’en faut bien toutefois que M. Freytag soit un talent complet. C’est l’absence de romanciers qui a fait son triomphe, c’est aussi le désir que l’Allemagne éprouve de se voir représentée autrement que dans des études rétrospectives ou dans des histoires de village. M. Freytag a osé peindre les hommes de son temps, voilà sa force ; il est diffus, il manque de concentration et de nerf, c’est là sa faiblesse. M. Berthold Auerbach peut encore reprendre l’avantage. Il y a quinze ans,