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pide, il aurait à coup sûr fait la guerre aux rois, il l’avait faite aux dieux, car après tout n’avait-il pas mortellement frappé la confiance, l’expansion, que sais-je ? toutes les divinités de sa jeunesse ? Mais au lieu de rester sur le théâtre de ses souffrances, avec un esprit médisant et un cœur blasé, Richard avait profité de son métier pour aller puiser la vie à d’autres sources que celles dont ses lèvres ne pouvaient plus supporter l’amertume. Il s’était battu au loin pendant plusieurs années. Sous l’influence des chevaux, de la poudre et d’un ciel toujours en fête, son caractère s’était peu à peu transformé. Lors donc qu’il y a quelques années, les hasards de sa profession le ramenèrent dans sa patrie, ce n’était plus assurément le même homme. Si la duchesse de Longueville se fût promenée sur la plage de Marseille quand il y sauta d’un pied léger, elle n’eût point reconnu son pâle et romanesque Marcillac. Ce ne fut point la duchesse de Longueville du reste qu’il trouva sur la Cannebière.

Il y fut reçu par de joyeux camarades dont il venait partager la vie et par des femmes dont je serais bien désolé de médire. Manon, dans toute sa liberté et tout son charme, c’est-à-dire dépourvue de tout Desgrieux, lui donna l’accolade de l’arrivée. Le voilà donc acclimaté tout à coup en France, parfaitement installé au sein d’un aimable régiment dont le numéro n’importe en aucune façon à notre affaire. Au moment où commence ce récit, il lui arrivait souvent pendant des heures entières de se croire heureux, ce qui est exactement la même chose que de l’être. Pensant en avoir fini pour toujours avec un des fléaux de sa jeunesse, il disait à part lui du vague chagrin dont tant d’hommes sont rongés ce que disent du diable quelques dévots pleins de confiance : « Il sera bien fin, s’il parvient à m’attraper ! » On sait l’éternelle imprudence de ces défis adressés au mal.

Il advint que le régiment de Richard reçut l’ordre de partir pour une petite ville du Nord assez aimée de la cavalerie, quoiqu’en définitive l’épithète consacrée de trou puisse parfaitement lui être appliquée. Herthal, dont je n’engage personne à vérifier la position sur la carte, est tout près des Pays-Bas. Il est situé au milieu de grandes plaines où l’on cultive le houblon ; ses fortifications, à demi détruites, sont entourées d’immenses abris d’un vert sombre, comme ceux dont quelques peintres hollandais étendent l’ombre, à travers de calmes paysages, sur de riches seigneurs portés par de robustes coursiers. La gaieté ne semble pas certainement, au premier abord, avoir dû choisir ce coin de la terre pour sa résidence habituelle, et cependant Herthal est bien loin d’être la plus exécrée des garnisons. On y fume des cigares recommandables et on y boit de l’excellente bière. Ceux à qui un amour effréné des splendeurs