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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/714

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qui éveille dans presque tous les cœurs soit des songes, soit des souvenirs. Un de ces grands marronniers qui pourraient raconter de longues annales domestiques, qui se sont associés à des joies d’enfans et à des mélancolies de vieillards, élevait sa tête au-dessus d’un mur. Une porte d’un vert sombre parsemée de clous usés semblait avoir l’habitude d’être close, car il y avait, avec les herbes et les fleurs qui s’échappaient de son seuil, de quoi faire un bouquet pour Margot et une salade pour La Ramée. Richard mit en branle un lourd marteau qui fit entendre un son prolongé ; il pensa que ce bruit ne ferait apparaître personne, mais, à sa vive satisfaction, cette pensée-là fut trompée. La porte s’ouvrit, et une sorte de manant à cheveux gris, génie rustique de ces ruines, s’offrit à lui ayant sur les lèvres le che vuoi ? de tous les êtres évoqués.

L’officier dit qu’il voulait habiter cette maison, si ses chevaux et lui pouvaient s’y loger. Les écuries eurent son approbation ; elles étaient un peu délabrées, mais dix chevaux auraient pu y tenir à l’aise dans toutes les situations possibles. Restait donc à voir le séjour des hommes. Le guide à cheveux blancs, qui n’était autre qu’un vieux jardinier, prit un flambeau, gravit un perron, et voilà Fleminges tout d’abord dans un vaste salon qui émut vivement sa curiosité. Aux quatre murailles étaient appendus quatre portraits. Deux de ces tableaux représentaient un homme et une femme poudrés, de mine assez fière, l’un et l’autre en costume de chasse, quoique avec des attributs fort différens. L’homme avait un magnifique fusil, la femme un arc et des flèches. L’homme s’était contenté d’être un riche mortel, la femme avait aspiré à être déesse. Rien du reste d’étonnant à cela : les Eloa ont succédé aux Iris et aux Uranies. Nos pères hantaient les déesses ; les anges nous étaient réservés.

Le troisième portrait était un officier de mousquetaires, non point du temps de Louis XV ni de Louis XVI, mais du temps de Louis XVIII. Ce jeune seigneur de la restauration avait tout à fait grand air. Une chevelure blonde et un peu claire, qui semblait protester contre l’absence de la poudre, s’élevait sur un front plein de noblesse. Deux lèvres fines se contractaient dédaigneusement sous un nez aux narines élégantes et minces. La taille de ce gentilhomme était d’une grâce parfaite : c’était celle du sire de Saintré ; si le poing d’un manant eût pu la briser, le vent d’aucun boulet ne l’eût fait fléchir.

Quant au quatrième portrait, assurément le plus charmant de tous, rien ne pouvait faire comprendre comment il se trouvait auprès des trois autres. Avez-vous jamais rêvé de Fanchon la vielleuse, ou de la belle écaillère ? J’avoue que ces héroïnes populaires ont souvent préoccupé ma jeunesse. Eh bien ! ces filles splendides de la plèbe devaient avoir les traits que Fleminges avait sous les