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Mme de Pornais, tout en dévorant un monstrueux gâteau, recevait les reproches d’une amie sur sa sollicitude maternelle, qu’elle nourrissait, disait-on, au détriment de sa santé. — Que voulez-vous ? répondit-elle en essuyant sur ses lèvres avec son mouchoir une dernière trace de crème, tout notre bonheur est dans ces petits anges. En prononçant ces mots, elle jeta, vous devinez sur qui, un regard qui eût éteint tout remords dans le cœur de Fleminges, si ce cœur eût connu le remords, — Eh bien ! le bonheur, mesdames, dit gravement Richard, moi qui suis un militaire pourtant, et non une femme, je le cherche encore dans l’amour, le véritable amour, celui auquel je ne pense pas sans pleurer, celui dont vous n’osez pas parler sans rire.

On prit pour une bouffonnerie cette sortie, débitée avec un sérieux incroyable. On ne s’aperçut pas que ces paroles étaient adressées à la pâtissière. La chère enfant dirigeait toute la flamme de ses beaux yeux sur Fleminges, pour elle plus séduisant que Lauzun au cercle de Mademoiselle, plus grand que Jean-Jacques prenant tout à coup la cause de Dieu au souper de Mme d’Épinay.


IV

Fleminges était un soir devant un café dont nous avons déjà parlé. Il n’avait pas encore tout à fait la mine d’un homme en proie à une passion exclusive, mais ce n’était plus déjà le joyeux compagnon que tout un régiment chérissait il y avait à peine quelques mois. Son sourire était devenu contraint, son regard rêveur ou d’une gaieté qui sentait la fièvre. — Je commence à craindre, pensait-il, une terrible résurrection. Je croyais que le vieil homme était mort en moi pour toujours. Il me semblait l’avoir enseveli, en déposant dans son sépulcre, à la façon des anciens, tous les objets familiers à sa vaine et douloureuse vie : — les médaillons renfermant des cheveux qu’il avait sérieusement baisés, qu’il avait portés sur son cœur jusque sous le feu de l’ennemi ; les lettres qui lui avaient paru, comme le ruban de Chérubin, compresses excellentes pour les blessures, les lettres dont chaque mot, commenté à l’infini par son âme tout entière, lui causait des joies incroyables ou des douleurs inouïes. Eh bien ! je m’étais trompé : aujourd’hui le sépulcre est vide, et le vieil homme est debout.

Pendant qu’il devisait ainsi, un de ces amis comme il y en a heureusement ailleurs qu’au Monomotapa vint à passer devant lui. Il l’appela. L’ami en question était un de ces personnages sensés qui ne transforment pas les objets réels en créations fantastiques par des examens obstinés et malsains. Ce n’est pas lui qui eût permis jamais