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Nous ne le pensons pas. Très préférable sans doute à la Nymphe de Fontainebleau, le Persée ne dépasse pas le niveau des œuvres de second ordre : il prouve une fois de plus ce qu’il y a d’excessif dans la célébrité attachée au nom de Cellini. Chez cet homme, qu’on a voulu assimiler aux hommes de génie, il y avait si peu l’étoffe d’un maître, que partout où il s’est essayé il a rencontré mieux que des rivaux. Parmi les ouvrages de sa main qui subsistent, parmi les médailles, les pièces d’orfèvrerie et les statues qu’il a exécutées depuis 1524, époque de son premier séjour à Rome, jusqu’en 1570, époque de sa mort, pourra-t-on rien citer dans chaque genre dont on ne trouve ailleurs de plus beaux spécimens ? Les médailles faites par Cellini ne soutiendront certes pas la comparaison avec les chefs-d’œuvre italiens du XVe siècle : supporteraient-elles beaucoup mieux le voisinage des pièces gravées en France au XVIIe ? La salière de François Ier, la monture d’une coupe en lapis-lazuli ornée d’anses en or émaillé, le couvercle, aussi en or émaillé, d’une autre coupe conservée, comme la première, dans le cabinet des Gemme à Florence, en un mot les pièces les plus renommées entre les bijoux et les objets d’orfèvrerie ciselés par l’artiste valent-elles mieux, valent-elles même autant, au point de vue de l’imagination et du style, que les ouvrages de même sorte exécutés par des maîtres antérieurs, ou que les modèles gravés par certains orfèvres contemporains, tels qu’Etienne de Laulne et Woëriot ? La main de Cellini est aussi sûre, aussi déliée que pas une autre ; mais ce qu’elle a façonné n’exprime rien au-delà de cette singulière adresse matérielle et ne laisse pressentir, dans le goût du dessin comme dans l’ordonnance générale des lignes, ni fantaisie vraiment inspirée, ni science vraiment magistrale. Enfin le sculpteur du Persée, — à plus forte raison le sculpteur de la Nymphe, — ne peut être mis au même rang que les grands sculpteurs de la renaissance.

D’où vient donc la vaste réputation de Cellini ? Nous l’avons dit, du zèle qu’il a mis à la propager lui-même et de la docilité avec laquelle on l’a cru sur parole. Les œuvres de l’orfèvre sont en réalité très peu connues : on ne songe même pas à les distinguer d’une foule d’autres appartenant au même ordre d’art et à la même époque, parce que, aux yeux du plus grand nombre, la question de talent personnel se confond ici avec la question historique en général. Cellini est avant tout un nom, et un nom qui résume l’ensemble des travaux d’orfèvrerie accomplis au XVIe siècle en Italie et même ailleurs. Ajoutons qu’en enregistrant à côté des témoignages de sa propre satisfaction les suffrages de quelques contemporains illustres, Cellini semble défier la postérité de contredire, en ce qui le regarde, des jugemens venus de si haut lieu. Le moyen de mettre en