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une démarche que la timidité enfantine de sa jeune femme pouvait faire échouer. Ses regards s’étaient portés de nouveau sur les aigrettes resplendissantes de Fatma. En même temps il avait retrouvé, grâce aux perfides excitations de l’alcool, une sorte de vigueur qu’il avait hâte de mettre à profit pour régler les questions d’intérêt matériel, devenues sa dernière préoccupation. Il ne recula donc pas devant un appel désespéré au dévouement de sa première femme, dont il prononça le nom d’une voix assez distincte pour que Fatma, restée à l’extrémité de la salle, accourût aussitôt près de lui. Comment rapporter la conversation qui s’engagea entre les deux époux ? Qu’il nous suffise d’en indiquer les traits qui peuvent caractériser la femme musulmane. Osman eut d’abord à essuyer les lamentations hypocrites de Fatma, qui se plaignait de l’abandon où l’avait laissée jusqu’alors son puissant seigneur. Il fallut qu’Osman réunît toutes ses forces pour couper court à ces récriminations et formuler nettement sa demande. Il s’agissait pour Fatma de vendre une de ses épingles en diamant et d’en remettre le prix à Osman, qui pourrait ainsi faciliter à Sarah et à ses enfans le voyage de Constantinople au district d’Angora. Il faut renoncer à peindre la douleur et la surprise que cette ouverture provoqua chez la noble Fatma. — Allah ! Allah ! malheur à moi ! s’écria-t-elle. Que n’avez-vous parlé plus tôt !… — Et la digne personne se confondit en protestations de tendresse habilement entrecoupées de larmes, de sanglots et de gestes pathétiques ; puis elle finit par déclarer à son mari que ses bijoux ne lui appartenaient plus, et qu’elle en avait disposé, en faveur de ses fils, qui lui avaient seulement accordé le droit de les porter jusqu’à sa mort. Comme on le pense bien, il n’y avait rien de vrai dans cette étrange histoire ; mais la mise en scène n’en était pas moins des plus saisissantes. Osman en fut-il dupe ? Si quelques doutes s’éveillèrent dans son esprit, il n’en laissa rien voir. L’effort qu’il venait de faire avait épuisé ses forces, et sans témoigner aucune mauvaise humeur à Fatma, il interrompit ses lamentations en la priant d’aller prendre du repos.

Au moment même d’ailleurs où Fatma retournait près de son brasier, Sarah reparaissait, et Osman eut bientôt oublié le mécompte qu’il venait d’éprouver. Le visage de la jeune femme exprimait la sérénité. Elle déposa sur le lit de son époux une bourse assez bien remplie. — La beiuk-kanum t’envoie cela, seigneur, dit-elle avec un faible sourire. Elle a été bien bonne pour moi, et cette bourse contient, m’a-t-elle dit, plus d’argent qu’il n’en faudra pour mon voyage.

À partir de ce moment, le jeune malade, rassuré sur le sort de ceux qu’il aimait, ne lutta plus contre le délire et s’abandonna sans