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un danger si éloigné, que pendant les dernières années de l’administration de lord Hastings, et jusqu’au moment actuel, l’armée de l’Inde a été laissée dans une décroissance continue, et qu’elle est maintenant, on me l’assure, le moins nombreux établissement militaire que, par comparaison à la population, à l’étendue et aux revenus des contrées qui la recrutent ou l’entretiennent, aucun empire civilisé puisse offrir dans le monde. »

« Il semble cependant, ajoutait Réginald Heber, qu’une guerre avec un nouvel ennemi nullement à mépriser est maintenant inévitable. Le roi d’Ava, dont vous verrez les territoires, sous le nom d’empire birman, indiqués dans toutes les cartes récentes, a longtemps joué dans ce qui est appelé l’Inde au-delà du Gange, bien que reculé à plusieurs centaines de milles de ce fleuve, le même jeu napoléonien que nous ayons joué dans l’Hindoustan. Ses domaines avaient été jusqu’à présent séparés des nôtres par une ligne de montagnes et de forêts qui prévenait presque toute communication pacifique ou hostile ; mais, par la récente conquête du pays d’Assam et de quelques autres rajahs de la montagne, il s’est avancé dans le voisinage du Bengale, et il a commencé à tenir, touchant les frontières, les terrains neutres et les anciens droits de l’empire doré, un langage que les Anglais dans l’Inde ne sont nullement accoutumés à entendre, et qu’il serait inconvenant de supporter une seule minute. »

Le roi d’Ava, voilà un Napoléon oriental dont la gloire était fort peu connue en Europe ; mais l’évêque de Calcutta pressent ici le côté faible qui vient de se révéler dans la puissance actuelle de l’Inde britannique. Seulement de bien autres pensées l’occupaient, lorsqu’il allait à Delhi visiter l’ancien souverain en retraite, quelque bisaïeul des princes qu’on fusille aujourd’hui, et qu’il en recevait une humble offrande de shawls, débris d’une antique opulence. Le vertueux évêque souffrait surtout de sa douloureuse indignation à la vue des crimes religieux qu’il ne pouvait prévenir. Il était obligé d’entendre les raisonnemens de légistes et même de missionnaires anglais qui croyaient nécessaire de permettre encore les immolations volontaires des veuves, pour ne pas rendre plus fréquens ces affreux sacrifices. Chrétien fervent et convaincu, il invoque parfois le simple déisme comme un port plus facile contre tant de vices, dont il voudrait à tout prix retirer les âmes. Sectaire tolérant, il embrasse dans sa pieuse fraternité toutes les formes de christianisme, tous les genres d’apostolat.

Ce beau caractère de prosélytisme, allié dans Réginald Heber à toute l’étendue du savoir, à toute la délicatesse du goût le plus exquis, ne pouvait que l’inspirer heureusement pour la poésie comme